Transparence, opacité et voile musulman
Très schématiquement, on peut opposer dans l’histoire deux grands régimes de visibilité, l’un fondé sur la transparence, l’autre sur l’opacité. Par régime de visibilité, on entend l’agencement des dispositifs immatériels – symboliques, philosophiques, spirituels, législatifs, etc. –, et matériels – urbanisme, architecture, vêtement, attitudes corporels prescrites, œuvres d’art, instruments d’optique, etc. –, qui ordonnent le visible dans une culture. En suivant cette ligne de partage schématique, il faut y insister, et qui admet évidemment hésitations, emprunts, hybridations, mais n’en manifeste pas moins des tendances lourdes et pérennes, l’Occident a développé un régime de transparence; l’Orient (Proche, Moyen et Extrême, selon la distinction européocentriste), un régime d’opacité1. On comparera, par exemple, l’urbanisme traditionnel d’une ville arabe (médina) ou chinoise (hutong) avec son équivalent en Europe. Dans la ville arabe, les rues étroites coudent régulièrement comme pour entraver le regard; produisant le même effet, le réseau de ruelles d’un hutong est disposé en colimaçon. Dès l’Antiquité, et à nouveau à la Renaissance, les cités de l’Europe latine adoptent un plan orthogonal2 (Florence) ou rayonnant en toile d’araignée à partir d’une place centrale (Sienne) : dans les deux cas, le regard traverse la ville, pratiquement sans obstacle. En Orient, les maisons n’ont que peu de fenêtres donnant sur l’extérieur, et des moucharabiehs les rendent impénétrables aux regards; l’architecture patricienne et bourgeoise européenne augmente régulièrement, au cours des siècles, la proportion des surfaces vitrées. A l’intérieur, la transparence des salons d’apparat d’un hôtel particulier entre cour et jardin, les chambres en enfilades de l’architecture
…