Janelle Pitre

Sexe + Désirs + Data

Centre PHI
Montréal
1er août –
31 octobre 2023

Coproduite par le Studio PHI et a_BAHN, en partenariat avec Club Sexu et plusieurs artistes multidisciplinaires, Sexe + désirs + data est une expérience immersive et multisensorielle qui s’adresse aux jeunes et aux adultes de 16 ans et plus. L’exposition explore les liens entre sexualités et technologies, un sujet pertinent à l’heure actuelle, considérant que 50 % des internautes de 30 ans et moins sont inscrit·e·s à une application de rencontre, et que 30 % des recherches Internet concernent la sexualité ou la pornographie, selon les statistiques mises en lumière par l’artiste Sandra Rodriguez avec l’œuvre Results (2023). En effet, presque tous les aspects de la sexualité sont transformés en données et codifiés, comme le dévoile l’exposition. En présentant sept œuvres interactives ludiques et colorées, Sexe + désirs + data expose les façons dont se communique numériquement la sexualité et matérialise l’univers virtuel des relations amoureuses et du désir. L’expérience s’étend jusque dans l’intimité des visiteur·euse·s, qui sont invité·e·s à clavarder avec Max, une intelligence artificielle non-binaire, par l’entremise de leurs téléphones. Chacun·e choisit son pseudonyme coquin et échange avec un·e Max séducteur·trice sur une interface rappelant les applications de rencontre, tout en aidant à combler le moment d’attente précédant l’entrée dans la première salle.

Le design de l’expérience est visiblement calqué sur les environnements virtuels. On retrouve une multitude d’écrans noirs, dans l’ensemble du parcours, sur lesquels défilent des SMS fictifs et des notifications annonçant l’arrivée d’un·e visiteur·euse, un parallèle à la connexion à une chatroom. Des animations colorées projetées aux murs ressemblent à un économiseur d’écran, et la musique de fond est composée de sons rappelant ceux d’un système informatique. Sexe + désirs + data met en espace des plateformes virtuelles (telles que les sites pornographiques, les applications de rencontre et les réseaux sociaux) habituellement accessibles qu’à travers des écrans. Celles-ci sont représentées comme des espaces d’extension de la sexualité humaine : des lieux permettant de trouver réconfort, d’assouvir ses désirs, d’explorer ses préférences et d’entrer en relation avec d’autres internautes.

L’œuvre Hello (2023), conçue par Ianna Book, suit la création du profil de @Nana001 sur une application de rencontre. Sur plusieurs écrans placés côte à côte, on voit la jeune femme composer sa bio, sélectionner ses photos et faire défiler les profils de candidats potentiels, pour ensuite clavarder avec eux. Dans la salle suivante, au mur, un unique message provenant de @Nana001 avoue à ses matchs qu’elle est une femme trans. On voit ensuite apparaître de véritables réponses reçues par l’artiste dans un contexte similaire, diffusées sur plusieurs moniteurs dans le dernier espace consacré à l’œuvre. Les réactions varient entre la fascination, le dégoût et la confusion, exposant la difficile réalité que vivent les personnes trans dans ce type d’interaction. Avec Hello, Book révèle ce moment d’hésitation à l’idée de mentionner ou non sa transidentité, qui fait toujours partie de l’expérience des applications de rencontre, où la majorité des utilisateur·trice·s s’avère cisgenre.

Sexe + désirs + data amène à explorer des interactions numériques expérimentées par tous et toutes, mais qui sont habituellement réservées à l’intimité, comme l’acte de se confier anonymement, de consommer de la pornographie ou de flirter avec d’autres internautes. Dans le contexte de l’exposition, les visiteur·euse·s sont invité·e·s à interagir avec des œuvres aux thématiques sexuelles et à réagir aux contenus explicites devant des inconnu·e·s. Certaines installations ne s’activent qu’à la présence de plusieurs personnes dans l’enceinte de l’œuvre. Cette interactivité encourage ainsi le public à vivre une sexualité sans tabou, dans une ambiance collective inclusive et émancipatrice.

L’œuvre Queering the Map, de Lucas LaRochelle, démontre la présence de la communauté queer à l’échelle internationale par le biais de témoignages anonymes et diversifiés liés à des coordonnées géographiques parmi lesquelles on peut naviguer sur plusieurs écrans tactiles. L’installation constitue une adaptation du projet web éponyme. L’archivage d’expériences LGBTQIA2+ contribue à créer un sentiment d’appartenance au-delà des frontières, transformant l’initiative de LaRochelle en preuve tangible de la puissance du numérique dans la création d’affinités entre les membres d’une collectivité.

Dans l’ensemble, Sexe + désirs + data comporte plusieurs points positifs. L’initiative montre la sexualité sous un angle d’ouverture, d’inclusion et de représentation. Cependant, l’expérience ludique et plaisante touche à plusieurs sujets sans toutefois les aborder en profondeur. On comprend que l’objectif ne servait ni à offrir un point de vue critique ni à inciter à la réflexion ; le projet sert plutôt à partager des découvertes et à explorer les thèmes traités. Certaines installations, comme Show Me Yours (2023), développée par Sam Greffe et Juliette Langevin, bénéficieraient d’une meilleure accessibilité. Dans le cas de cette œuvre, qui est constituée d’une chambre dans laquelle sont disposés plusieurs appareils technologiques servant au camming et/ou à la production de vidéos pornographiques, la prospection matérielle et visuelle empiète sur la profondeur du contenu. L’artiste Sam Greffe a enregistré les témoignages de plusieurs travailleur·euse·s du sexe qu’il a interviewé·e·s, afin de déjouer les préjugés entourant leur métier, et d’humaniser la pratique du travail du sexe. Rendus disponibles à l’aide de casques d’écoute, les propos que tiennent ces individus restent tout à fait pertinents et captivants, mais ils demeurent difficiles à percevoir clairement, que ce soit dû à une musique de fond au volume trop élevé ou à des bruitages ambiants. Les visiteur·euse·s sont incité·e·s à manipuler les appareils posés dans la pièce, et les enregistrements sonores sont parfois diffusés sur des haut-parleurs, parfois dans les écouteurs mis à disposition. L’expérience devient alors quelque peu étouffante, dissimulant les témoignages qui devaient donner son sens à l’œuvre.

Sexe + désirs + data constitue une proposition dynamique à prendre à la légère. Servant d’espace de partage, l’expérience multisensorielle aborde des tabous sexuels et relationnels en toute ouverture, faisant face aux malaises qui peuvent être ressentis en relation avec la sexualité. Restant en surface, l’exposition présente au grand jour des pratiques que l’on vit dans le jardin secret de notre téléphone intelligent, nous confrontant à les reconnaître dans un espace public.

 


 

Janelle Pitre est étudiante au certificat en Muséologie et diffusion de l’art à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) dans le cadre d’un baccalauréat ès arts. Elle s’intéresse aux positions critiques et engagées adoptées par les artistes et commissaires par l’entremise des œuvres et expositions d’art. Ayant terminé des études en graphisme, elle souhaite intégrer des notions du design dans sa future pratique artistique, éditoriale et commissariale. Elle signe le design graphique des revues étudiantes Parallèle 67 (Université de Montréal) et Premières lignes (UQAM).

Sexe, désirs, data.Vue partielle de l’exposition. Centre Phi, Montréal. Photo : Adil Boukind.
Sexe, désirs, data.Vue partielle de l’exposition. Centre Phi, Montréal. Photo : Adil Boukind.
Sexe, désirs, data.Vue partielle de l’exposition. Centre Phi, Montréal. Photo : Adil Boukind.
Sexe, désirs, data.Vue partielle de l’exposition. Centre Phi, Montréal. Photo : Adil Boukind.
Sexe, désirs, data.Vue partielle de l’exposition. Centre Phi, Montréal. Photo : Adil Boukind.
Sexe, désirs, data.Vue partielle de l’exposition. Centre Phi, Montréal. Photo : Adil Boukind.
Sexe, désirs, data.Vue partielle de l’exposition. Centre Phi, Montréal. Photo : Adil Boukind.
Sexe, désirs, data.Vue partielle de l’exposition. Centre Phi, Montréal. Photo : Adil Boukind.
Sexe, désirs, data.Vue partielle de l’exposition. Centre Phi, Montréal. Photo : Adil Boukind.