Noémie Fortin

Horizons nouveaux

Fondation Grantham pour l’art et l'environnement
Saint-Edmond-de-Grantham
11 - 26 novembre 2023

À l’occasion du tout premier prix étudiant en arts visuels de la Fondation Grantham pour l’art et l’environnement, l’exposition Horizons nouveaux rassemble le travail des six artistes sélectionnées par leurs universités1. Ce nouveau prix, fruit d’un partenariat avec le Fonds Pierre-Mantha et qui promet de souligner annuellement le travail de la relève québécoise en arts visuels, s’inscrit en continuité avec la mission de la Fondation de soutenir la recherche et la création réalisées aux croisements de l’art et de l’environnement, ainsi que leur diffusion dans une visée éducative. Les projets des finalistes et de la lauréate qui sont présentés en salle forment un ensemble hétéroclite, traitant de différents enjeux et prenant une variété de formes, mais convergeant tous autour de considérations environnementales.

Ces préoccupations pour l’environnement se concrétisent notamment à travers l’usage de matériaux organiques, comme c’est le cas pour le corps végétal qui prend place au cœur de l’installation de Laetitia de Coninck. « Devenir-avec » les zinnias (2023) prend la forme d’une étendue de fleurs séchées disposées sur le plancher bétonné de la galerie, proposant une reconstruction des traces de la plus récente performance orchestrée par de Coninck. Dernier volet du projet de longue haleine intitulé Cycle délicat (2020-23), pour lequel l’artiste s’engage dans une rencontre sensible avec différents êtres végétaux, les zinnias arrangés au sol évoquent la fragilité et la fin d’un cycle, auxquels l’artiste offre un contrepoids en invitant le public à repartir avec un sachet de semences qui veilleront à propager la vie qu’elles contiennent. Cet autre végétal se retrouve également dans le travail de Flavie Goyer-Villeneuve, qui recompose ses souvenirs d’un arbre qui poussait devant la maison de son enfance. Le rose se répendait… (2022) reproduit la mémoire de cet être végétal qu’elle ne côtoie plus, à l’aide d’une série d’images réalisée en photogrammes non-fixés. Le dispositif de présentation de l’œuvre contribue à son effacement, alors que le public est invité à retirer les cartons noirs qui protègent les surfaces photosensibles pour découvrir les images qu’ils cachent et, ainsi, à les exposer momentanément aux rayons du soleil. Avec chaque manipulation, le public transforme l’œuvre et porte la responsabilité de la disparition de l’image qui s’estompe au contact de la lumière.

La sculpture de Katia Gagnon est elle aussi vouée à se transformer au cours de l’exposition. Le moteur de voiture enrobé d’un kilo de sucre caramélisé qui s’écoule, lentement, miroite comme la ruine séduisante d’une ère industrielle qu’elle voudrait révolue. En plus de cibler la voiture comme symbole de destruction des écosystèmes, Sugarcoat (2023) fait allusion aux discours capitalistes édulcorés qui minimisent l’impact environnemental de pratiques extractivistes, ainsi qu’à une tactique prisée par des militant·e·s environnementalistes qui versent du sucre dans le moteur de machinerie pour mettre un frein à des projets de développements. La lauréate du prix offert par la Fondation, Bianca Shonee Arroyo-Kreimes, présente quant à elle l’installation vidéo Last Species on Earth (2022) qui nous projette au-delà de notre époque, dans un futur dystopique où les dernières créatures qui résistent à l’extinction sont conservées dans des incubateurs. Les formes arrondies modélisées par l’artiste pour créer cet écosystème virtuel débordent de l’écran pour prendre forme dans l’espace d’exposition, avec des ellipses de sable rose dessinées au sol et des fauteuils gonflables lumineux invitant le public à entrer dans l’installation. L’écran disposé devant une fenêtre instaure une conversation entre le boisé qui borde la Fondation et la flore colorée dans lequel les organismes fictifs évoluent, renforçant l’effet immersif de la vidéo.

L’immersion comme stratégie de création est à la base du projet Je ne suis pas très étanche (2022) présenté par Julie Desrosiers. En résidence au Domaine Forget de Charlevoix, l’artiste marionnettiste qui allie les arts visuels à la scénographie plonge son corps, en entier, dans un contenant rempli d’eau. En interrogeant la porosité du corps face aux éléments avec lequel il entre en contact, elle cherche à se relier à la matérialité du monde et à brouiller les frontières entre les humain·e·s et les autres-qu’humain·e·s, entre le vivant et le non-vivant s’il en est. Les traces vidéo de cette performance sont exposées dans la galerie aux côtés du récipient en plastique, artefact d’une action improbable qui démontre l’agilité de l’artiste à contorsionner son corps dans un espace confiné. Du côté de Catherine Gagnon, c’est dans un bain de teinture et vêtue d’une robe de mariée que l’artiste s’immerge pour sceller de façon symbolique son union avec l’art visuel. Gagnon, également travailleuse culturelle, a choisi de s’engager dans un rituel annuel par le biais d’un mariage qu’elle sera appelée à célébrer et réactiver à chaque anniversaire, assurant ainsi un rythme continu à ses projets de création. À la Fondation, l’installation Mariage céladon (les traces) (2023) se compose d’une alliance de fiançailles et de la robe imprégnée d’encres végétales lors de la cérémonie, attestant d’un désir de durabilité dans la relation que l’artiste entretien avec sa propre démarche.

Cette première édition de l’exposition Horizons nouveaux dresse un portrait diversifié des pratiques qui émergent au sein des universités québécoises, dans la rencontre entre l’art et l’environnement. Les œuvres qui y sont rassemblées reflètent une myriade de techniques et de médiums – allant de la vidéo, la modélisation et la performance à diverses formes d’immersion et d’installation évolutive – qui témoignent d’une attention particulière aux questions environnementales contemporaines. Le désir de proximité avec le règne végétal, de coprésence sensible avec l’autre-qu’humain·e et de ralentissement, ainsi que l’ambivalence des relations entretenues avec le monde naturel dans un contexte de ravage écologique, sont autant de considérations qui sous-tendent les nouveaux horizons de l’art environnemental présentés à la Fondation Grantham.

1 Bianca Shonee Arroyo-Kreimes (Université Concordia), Laeticia de Coninck (UQAM), Julie Desrosiers (Université Laval), Catherine Gagnon (UQAC), Katia Gagnon (UQO) et Flavie Goyer-Villeneuve (UQTR).


Noémie Fortin est une autrice et commissaire indépendante qui vit avec sa famille dans les Cantons-de-l’Est. Sensible aux pratiques enracinées dans la pensée écoféministe, elle concentre ses recherches sur l’art qui sort des institutions pour aller à la rencontre des territoires et des communautés. Ses plus récents projets de commissariat ont été présentés à la Galerie d’art Foreman, au 3e impérial et chez RURART. Ses écrits sont publiés dans diverses revues spécialisées dont Esse arts + opinion et Vie des arts.

Horizons nouveaux, 2023. Vue partielle de l’exposition (œuvres de Flavie Goyer-Villeneuve, Laetitia de Coninck et de Julie Desrosiers), Fondation Grantham pour l’art et l’environnement.
Photo avec l'aimable permission de la Fondation Grantham.
Laetitia de Coninck, « Devenir-avec » les zinnias, 2023 (détail).
Photo avec l'aimable permission de la Fondation Grantham.
Flavie Goyer-Villeneuve, Le rose se répandait..., 2022.
Photo avec l'aimable permission de la Fondation Grantham.
Katia Gagnon, Sugarcoat, 2023.
Photo avec l'aimable permission de la Fondation Grantham.
Bianca Shonee Arroyo-Kreimes, Last Species on Earth, 2022.
Photo avec l'aimable permission de la Fondation Grantham.
Bianca Shonee Arroyo-Kreimes, Last Species on Earth, 2022 (detail).
Photo avec l'aimable permission de la Fondation Grantham.
Julie Desrosiers, Je ne suis pas très étanche, 2022.
Photo avec l'aimable permission de la Fondation Grantham.
Julie Desrosiers, Je ne suis pas très étanche, 2022 (image tirée de la vidéo).
Catherine Gagnon, Mariage céladon (les traces), 2023.
Photo avec l'aimable permission de la Fondation Grantham.
Catherine Gagnon, Mariage céladon (les traces), 2023 (détail).
Photo avec l'aimable permission de la Fondation Grantham.