Prune Paycha

Diane Landry, Les Prévisions transparentes

VOX, Centre de l’image contemporaine
Montréal
25 mars —
23 juin 2023

S’il était donné de comparer, en connaissance de cause, l’entrée dans l’exposition Les Prévisions transparentes à l’effet de l’apesanteur, c’est sans aucun doute ce à quoi les visiteurs feraient référence. Dès le premier instant, dans cette rétrospective que consacre le centre VOX à l’artiste-plasticienne Diane Landry, l’effet saisissant, hypnotisant, des œuvres rassemblées s’impose.

D’abord, les yeux doivent s’accommoder à la pénombre bleutée qui habite la première salle dans laquelle l’œuvre Chevalier de la résignation infinie (2009) accueille magistralement les gens. Un bref et doux silence s’installe, remarquable en ce qu’il contraste avec le monde extérieur, avant d’être effacé par les sons que produit l’installation dont le mouvement devient le principe. Des bouteilles de plastique montées sur des roues de vélo et emplies de sable tournent, hélices poussées par un vent invisible et inexhaustible, générant par leur mouvement le bruit de la chute du sable. Rapidement, la vue et l’ouïe se synchronisent devant le spectacle de ces cercles mouvants mi-éolienne mi-sablier. Si la progression dans l’exposition offre son lot de surprises et d’émerveillement, dès cette première salle, toutes les composantes de la démarche de l’artiste se manifestent. Il ne s’agit pas de résumer la vaste carrière internationale de Landry à une seule œuvre, mais bien de souligner d’emblée la solide cohérence de sa création. Ombre et lumière, mouvements et mutations, cycles immuables, son Chevalier porte toutes ces notions en blason. Dès la rencontre avec ces roues de lumière qui dominent l’espace-temps singulier de l’exposition, la magie se met en marche.

Depuis plus de 30 ans, l’artiste québécoise développe des œuvres qui convoquent les sens, pour ne pas dire les corps, le sien comme celui de celles et ceux qui viennent tenter l’expérience. Dans la rétrospective de près d’une dizaine d’œuvres produites entre 1996 et 2023 que propose le centre VOX, sculptures cinétiques, installations et performances filmées jouent de concert pour réveiller avec simplicité, espièglerie et élégance, les yeux et les oreilles d’un engourdissement quotidien. Qu’il s’agisse de l’installation Mandala Naya, dans la série Le déclin bleu (2002) ; de La Grande Ourse (2023), constellation de plastiques motorisée ou encore de l’œuvre Le Phare (1996), chœur de quinze tourne-disques coiffés d’objets aussi divers qu’une poupée en robe bleue et une paire de patins, les matières et les manières de Diane Landry s’accordent pour former un ensemble qui relève de la machinerie cosmique à échelle humaine. Tout y trouve une place, aussi étrange et insoupçonnée fut-elle. Si, dans l’ensemble, les œuvres se développent autour de choix d’objets hétérogènes pouvant presque littéralement évoquer la « rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie », le travail de Landry manifeste une cohérence et un équilibre qui chassent l’aléatoire au profit de l’harmonie.

Pour construire ses mécaniques célestes, l’artiste travaille sur l’alliance. Son liant ? Le mouvement. Entre les mains de la créatrice, des objets banals faits de matière pauvre comme le plastique — bouteilles d’eau minérale, panier à linge, bâche ou encore crayons — se révèlent. Moteurs discrets et mécaniques fluides animent ces objets prélevés à leur environnement de référence pour les métamorphoser en des formes nouvelles. Telle une surprise de fin de parcours, Le Phare illustre cette dynamique qui ramène joyeusement les visiteurs à l’enfance. Les seize tableaux de l’œuvre s’apparentent aux mouvements d’une symphonie silencieuse dont l’ombre projetée des objets donne la cadence. Dans ce ballet d’objets, la lumière et son double, l’ombre, jouent un rôle fondamental vers une transfiguration du banal. Et c’est l’ombre qui mène la danse, car c’est elle qui possède le pouvoir de révéler la vraie nature d’objets jugés ordinaires. Dans Le Phare comme dans Mandala Naya, ombre et lumière ne se contredisent plus, mais se transforment l’une en l’autre. Landry, par un tour de force créateur aussi simple que le mouvement métronomique d’un bras articulé couronné d’une petite cuillère qui abrite une ampoule — comme une main abriterait une flamme de bougie —, attribue à l’ombre les vertus que l’on prête communément à la lumière. Sculptée par l’artiste, l’ombre renouvelle le regard. Diane Landry dit elle-même chercher à créer de nouvelles mémoires émotives en réinventant la vision ; un pari qu’elle réussit en générant, avec ses œuvres, des rencontres fertiles métamorphosant le trop connu en phénomène esthétique.

S’impose peu à peu l’idée que l’artiste propose une vision de la connaissance par l’expérience et le sensible. Expérimenter physiquement des œuvres de Landry, c’est cheminer sur une voie alternative à l’allégorie de la caverne telle que présentée par Platon. Les ombres et le monde du sensible ne s’avèrent plus synonymes d’ignorance tandis que le monde brillant des idées n’est plus le lieu unique de la connaissance. L’artiste annule cette dualité qui se dissout dans son travail. L’utilisation du mouvement mécanique connecte l’ombre et la lumière, le sensible et l’intellectuel. Pour preuve, très accessible au jeune public, l’exposition attire de tout jeunes visiteurs qu’il n’est pas rare de voir tenter d’attraper l’ombre. En abolissant ce dualisme, les œuvres clament avec une facétie bienveillante que les opposés demeurent inséparables.

Si l’espace de la galerie se propose déjà comme un endroit à part, la visite des Prévisions transparentes offre assurément un voyage dans un espace-temps aménagé par les soins précis et circonstanciés d’une artiste consciente de faire partie d’un tout. Dans cet espace particulier le temps n’est pas suspendu, mais il s’expose, fragile et puissant, transparent et présent telle une force inexorable qui entraîne aussi bien dans sa course disques de résine, bouteilles, roues, objets que le public. Aux antipodes de la naïveté, il existe à la fois une grande douceur émanant des Prévisions transparentes ainsi qu’un profond sentiment d’humilité devant ces mécaniques parfaites qui structurent tout le travail de l’artiste, directement inspirées de la nature elle-même et dont elle devient la messagère. Entre Chronos, dieu du temps humain, et Aéon, divinité du temps cyclique et infini, se tient Diane Landry, créatrice d’émerveillement par la simplicité des gestes, maîtresse discrète du tempo implacable d’un temps dont elle est la complice.

1 Lautréamont, Les Chants de Maldoror (1868), chant VI.


 

Prune Paycha est photographe. Titulaire d’une maîtrise en Lettres modernes (Sorbonne Paris IV) et d’un MA en Cultural and Creative Industries (King’s College London), elle oriente ses recherches universitaires vers le cinéma et l’image fixe. Son travail photographique explore la notion d’invisibilité manifestée dans la transmission des récits, des connaissances ou par des événements inexpliqués, voire paranormaux. En tant que critique, elle contribue régulièrement aux revues Liberté et 24 images.

Diane Landry, Les prévisions transparentes, 2023. Vue partielle de l'exposition. Avec l'aimable autorisation de VOX, centre de l'image contemporaine. Photo : Michel Brunelle.
Diane Landry, Les prévisions transparentes, 2023. Vue partielle de l'exposition. Avec l'aimable autorisation de VOX, centre de l'image contemporaine. Photo : Michel Brunelle.
Diane Landry, Les prévisions transparentes, 2023. Vue partielle de l'exposition. Avec l'aimable autorisation de VOX, centre de l'image contemporaine. Photo : Michel Brunelle.
Diane Landry, Les prévisions transparentes, 2023. Vue partielle de l'exposition. Avec l'aimable autorisation de VOX, centre de l'image contemporaine. Photo : Michel Brunelle.
Diane Landry, Les prévisions transparentes, 2023. Vue partielle de l'exposition. Avec l'aimable autorisation de VOX, centre de l'image contemporaine. Photo : Michel Brunelle.
Diane Landry, Les prévisions transparentes, 2023. Vue partielle de l'exposition. Avec l'aimable autorisation de VOX, centre de l'image contemporaine. Photo : Michel Brunelle.
Diane Landry, Les prévisions transparentes, 2023. Vue partielle de l'exposition. Avec l'aimable autorisation de VOX, centre de l'image contemporaine. Photo : Michel Brunelle.
Diane Landry, Les prévisions transparentes, 2023. Vue partielle de l'exposition. Avec l'aimable autorisation de VOX, centre de l'image contemporaine. Photo : Michel Brunelle.