Lise Lamarche
N° 105 - automne 2013

Le Vingt-Cinquième du centre d’exposition CIRCA – À suivre

La revue Espace nous ouvre amicalement ses pages à l’occasion du quart de siècle de l’activité du centre d’exposition Circa. La revue qui suit fidèlement les activités du centre depuis ses débuts (on pourrait dire leur début puisque Espace vient tout juste de saluer son propre 25e anniversaire) ne se dédit pas aujourd’hui. Les deux institutions (n’ayons pas peur des mots…) ont en commun une passion pour « la sculpture dans le champ élargi» – pour reprendre l’expression de Rosalind Krauss: une sculpture qui ne craint pas les matériaux classiques tout en utilisant aussi des matières dites moins nobles, qui s’échappe parfois de façon tentaculaire dans l’espace, qui joue du in situ avec mæstria, qui se pose sans rougir sur un socle, ou tremble dans l’espace, qui colle aux parois silencieusement, qui quelquefois grince ou parle.

Le dossier que nous proposons dans ces pages n’a pas la prétention de constituer le fin mot de l’histoire de Circa: quelques extraits de textes de la critique montréalaise parus à l’occasion de l’ouverture du centre et de quelques événements ou anniversaires notables, certaines illustrations puisées dans les archives de Circa et mettant en lumière des oeuvres ou des expositions de la plupart des membres du conseil d’administration depuis 1988*. D’autres textes seront disponibles dans la salle de documentation du centre ouverte à l’occasion de l’exposition anniversaire intitulée La sculpture en temps et lieux. Sans oublier le site Internet de Circa qui se développe au gré du temps, des subventions et des compétences des uns et des autres assistants du directeur fondateur Maurice Achard à qui succède depuis l’été 2013 une nouvelle directrice, Geneviève Goyer-Ouimette.

L’exposition anniversaire présente une coupe à blanc dans la forêt touffue des très nombreuses expositions individuelles et collectives tenues entre 1988 et 2013. Près de 500 artistes ont exposé dans le vaste espace du centre Circa. Chacune des expositions est en général accompagnée d’un texte, parfois même d’un opuscule, signé par l’artiste lui-même ou un auteur invité.

Comment ne pas être injuste, partiale, détestable ! Un fil a été tiré qui consiste à faire voir comment plusieurs artistes ont travaillé cet art protéiforme appelé encore sculpture. Puisque nous savons bien ce qu’est la sculpture, disait aussi Krauss, il s’agit maintenant d’en montrer les multiples facettes. Des malins parlent de trois dimensions et pensent ainsi s’en tirer ! Faisons parler les murs, les planchers, les fenêtres. Aussi les colonnes et les grands espaces vides. Faisons aussi entendre le bruissement de la feuille ou le grincement du métal en mouvement.

 

* Profitons de la circonstance pour saluer tous les membres du conseil d’administration depuis 1988. Membres fondateurs : Maurice Achard, Monique Giard, Yves Louis-Seize ; Membres du C.A. : Catherine Bolduc, Yvon Cozic, Lalie Douglas, Anne Fauteux, André Fournelle, Sylvie Fraser, Andréanne Godin, Michel Goulet, Marie-Josée Laframboise, Guy Laramée, Lisette Lemieux, Janet Logan, Jennifer Macklem, David Moore, Jean-Pierre Morin, Élisabeth Picard.

 

Lise Lamarche, historienne de l’art et professeur honoraire de l’Université de Montréal, est commissaire de l’exposition La sculpture en temps et lieux qui salue en quelques oeuvres le travail du centre d’exposition montréalais Circa.

 

LA TERRE… UNE SAISON… DES ARTISTES…

Le Centre d’Exposition d’Art Céramique Contemporain (CIRCA) a ouvert ses portes au public, le 11 septembre 1988, sur une exposition inaugurale, «Dix artistes… la terre », qui illustrait une déclaration liminaire sans équivoque de son directeur et fondateur Maurice Achard : « (Exposer) Toute oeuvre, installation, performance ou manifestation dont la thématique, la référence ou l’inspiration soit la terre comme matériau, matière, élément ou entité planétaire. »

Déclaration courageuse, l’ordre des mots a en effet son importance et nomme la réalité du risque pris. Car il ne s’agit pas seulement, par le biais de cette nouvelle entreprise, de faire déboucher les métiers de la terre sur la production artistique mais il s’agit aussi de partir de l’autre extrémité du spectre, d’ouvrir la céramique aux interrogations d’artistes venus d’autres horizons techniques, de l’exposer à des regards neufs et de prendre le risque donc d’en voir peut-être bouleverser les valeurs et remettre en question les acquis et les nécessités. D’en voir transgresser non seulement l’usage mais le métier lui-même…

« On va voir ce que la terre a à offrir sur le plan conceptuel et expérimental », dit Maurice Achard. Au service de cette ouverture d’esprit et de cette curiosité il faut bien sûr compter la vitrine exceptionnelle que constituent en plein coeur de Montréal, les 3500 pieds carrés et les facilités du centre d’exposition, mais aussi, par le truchement de l’étroite collaboration que CIRCA entretient avec le Centre de céramique Bonsecours, l‘appui technique, si nécessaire, d’un métier qui tire son savoir à la fois de la tradition la plus ancienne et des recherches les plus contemporaines.

—Jean Dumont, août 1989 (extraits d’un tapuscrit, Dossier visuel 1988 à 1995, Circa)

Jean Dumont, [1927-2004,] ingénieur, critique d’art et commissaire.

 

Pour inaugurer son tout nouvel espace, [le] Centre d’exposition Art céramique contemporain avait demandé à dix artistes de produire une oeuvre à partir de la terre. L’initiative s’est avérée des plus heureuses puisqu’elle a permis de voir éclater le médium en lui enlevant ses connotations d’art mineur, d’objet artisanal, de bibelot d’art… Au contraire de cela, les propositions lorgnaient délibérément vers la contemporanéité et rejoignaient plusieurs des tendances qui ont cours en sculpture aujourd’hui : monumentalité, appropriation du territoire, assemblage et bricolage, fragmentation de l’objet proche de l’installation… Transcendant le matériau, les artistes ont su l’intégrer à leur propre démarche personnelle. Les oeuvres réussissaient à faire oublier la céramique elle-même (elle devenait un moyen et non plus une fin), à l’investir d’une portée plus vaste, celle de traduire une pensée, d’articuler un propos de pure sculpture.

—Serge Fisette, « Incontournable, la sculpture », Espace, vol. 5, no 2, hiver 1989, p. 8.

Serge Fisette, directeur de la revue Espace, commissaire et auteur.

 

Pourquoi privilégier la formule du centre d’artiste et non celle de la galerie d’art ? Quelle différence y a-t-il entre les deux ? Quels avantages y voyez-vous ?

Yves Louis-Seize : Il y a des avantages et une nécessité. La nécessité est que pour être subventionné, il faut répondre aux exigences des programmes de subvention existants. Quant aux avantages, ils sont reliés au type d’art que l’on y présente, soit un art de recherche. Les centres d’artistes qui font de la diffusion défendent et font la promotion de cet art qui est en constante évolution et en continuelle quête d’expressions nouvelles. Contrairement aux galeries d’art, ils n’ont pas une vocation commerciale et constituent des laboratoires et des pépinières pour les artistes en art actuel. […]

« Circa 1988-2008 », entretien de Serge Fisette avec Yves Louis-Seize, Espace, no 87, printemps 2009, p. 28.

Yves Louis-Seize, sculpteur, membre fondateur et président du conseil d’administration de Circa.

 

JOYEUX ANNIVERSAIRES. CIRCA, 10 ANS, ET LA CENTRALE, 25 ANS

Sortez tambours et trompettes, une autre galerie de Montréal célèbre cette année ses noces de diamant avec les collectionneurs et le public. Après les René Blouin, Trois Points/Éric Devlin, Christiane Chassay, un peu avant Occurrence l’an prochain, c’est au tour de Circa, désormais centre d’artistes et autrefois galerie d’art à part entière associée au Centre de céramique Bonsecours, de festoyer. L’affaire n’est pas banale.

Après s’être fait couper de façon draconienne les fonds subventionnés il y a près de trois ans, la galerie a pu survivre en transformant sa structure d’exploitation pour calquer celle des centres autogérés. Il y a deux ans, Circa instaurait une nouvelle formule particulièrement intéressante, demandant à de jeunes artistes d’inviter des artistes vétérans à occuper les lieux d’exposition avec eux.

—Bernard Lamarche, Le Devoir, 26-27 septembre 1998, p. D9.

Bernard Lamarche, critique d’art au Journal Le Devoir, commissaire, maintenant conservateur de l’Art Actuel au Musée National des Beaux-Arts du Québec.