Serge Fisette
N° 102 - hiver 2012

Restaurer la sculpture

Les grands amateurs d’antiques restauraient par piété.
Par piété, nous défaisons leur ouvrage
1.
—Marguerite Yourcenar

La restauration des oeuvres d’art–des sculptures, en l’occurrenceest un travail minutieux et complexe. Certaines sont des installations extérieures implantées dans l’espace public, d’autres font partie de collections de musées, de corporations ou de particuliers, d’autres encore s’inscrivent dans l’imposant corpus du patrimoine religieux. Qu’il s’agisse de pièces endommagées ou ayant subi des ans… l’irréparable outrage, leur remise en état requiert les services de professionnels qualifiés possédant, outre une habileté manuelle, des compétences en chimie et en physique, ainsi qu’une connaissance de l’histoire de l’art.

Comme l’explique Paul Philippot, il ne s’agit pas simplement de conserver la matière de l’oeuvre, on doit aussi tenir compte de son contexte historique : « Les progrès de la restauration au cours du dernier demi-siècle, précise-t-il, se sont opérés selon deux lignes dominantes complémentaires : le développement de l’approche critique et celui des études de laboratoire. Le premier s’est caractérisé par l’élaboration d’une méthodologie archéologique et esthétique qui conçoit la restauration comme un moment de la critique historique ; le second, s’attachant à l’étude systématique des matériaux, de leur structure et de leurs altérations, aboutit aujourd’hui à la constitution d’une science de la conservation 2. »

Il existe au pays plusieurs organismes et associations voués à ce type d’ouvrage, entre autres le Conseil du patrimoine religieux du Québec, le Centre de conservation du Québec, l’Institut canadien de conservation, l’Association canadienne des restaurateurs professionnels (ACRP) et l’Association canadienne pour la conservation et la restauration des biens culturels (ACCR). Ces dernières ont d’ailleurs publié un Code de déontologie et Guide du praticien. On y lit que « le rôle fondamental du restaurateur consiste à préserver et à restaurer les biens culturels au bénéfice des générations présentes et futures; le restaurateur doit constamment s’efforcer de maintenir un équilibre entre l’utilisation et la préservation d’un bien culturel ; il doit se renseigner sur l’intégrité physique, conceptuelle, historique ou esthétique du bien culturel et respecter cette intégrité dans toutes ses interventions ; et il doit viser l’excellence, notamment en ce qui concerne la conservation préventive, l’examen, la documentation, la recherche, le traitement et la formation 3. »

Mentionnons également l’implication de DOCOMOMO (International working party for DOcument and COnservation of Buildings, sites and neighbourhoods of the MOdern MOvement), un organisme patrimonial qui vise à documenter et à préserver les bâtiments et les oeuvres d’art issus du mouvement moderne. À cet égard, on se souviendra que c’est grâce à la vigilance et à la ténacité de Danielle Doucet, responable de l’art public à DOCOMOMO Québec, que l’on a pu sauver de la destruction la sculpture Orbite optique no 2, de Gerald Gladstone, érigée à l’entrée de la Ronde lors de l’Exposition universelle de 1967 (pour connaître les détails de l’affaire, lire son texte « La conservation de la sculpture de Gerald Gladstone : une controverse médiatisée », publié dans Espace no 60, été 2002, p. 36-37).

Conserver ou restaurer ?

Ne parlons pas de restauration. La chose elle-même,
du début à la fin, n’est qu’un mensonge
4.
– John Ruskin

Au cours des dernières années, d’importants débats, parfois houleux, ont animé le milieu des conservateurs/restaurateurs. Parlant des gâchis irréversibles résultant de certaines restaurations en art, François Mauriac écrivait dans son Journal, en 1937 : « Là ou les chimistes américains ont passé, rien ne demeure de la vibration du génie. Le Nouveau Monde achète à l’Ancien des chefs-d’oeuvre et lui renvoie des cadavres 5. » L’auteur de Thérèse Desqueyroux pointait ainsi l’incessant duel entre conservation et restauration. Entre ceux prônant des interventions majeures, parfois radicales, pouvant aller jusqu’à « modifier l’original de l’objet historique pour trouver un état supposé proche de l’apparence d’origine 6 » – ce qui permettrait, dit-on, une meilleure lisibilité de l’oeuvre –, et ceux pour qui suffisent des gestes conservatoires plus modestes dont l’objectif est de préserver l’intégrité et les qualités des oeuvres, compte tenu que, grâce aux avancées technologiques, il est désormais possible de réaliser des reproductions sans le moindre risque pour l’objet lui-même.

Si la notion de goût et les canons de la beauté varient selon les époques, il en est de même des motivations des restaurateurs d’oeuvres d’art et des principes guidant leurs actions. Lorsque, en 1811, on demande au sculpteur danois Bertel Thorvaldsen (1770-1844) de reprendre des personnages en marbre du fronton du temple d’Aphaïa à Égine (500-490 av. J.-C.), il privilégie une restauration dite « exhaustive », soit de « compléter » les statues en y ajoutant les parties manquantes afin que les héros retrouvent leur splendeur initiale. Les approches ayant radicalement changé depuis lors, les oeuvres seront tout bonnement « dé-restaurées » un siècle et demi plus tard !

Le débat reste ouvert et apparemment toujours d’actualité. En témoigne la décision de Silvio Berlusconi, en 2010, de faire restaurer deux marbres antiques en redonnant une main à Vénus et un pénis à Mars ! L’affaire fera grand bruit, soulevant la colère des uns et les moqueries des autres, surtout que les prothèses étaient en résine et que le coût de l’opération frisait les 70 000 euros ! Sans doute que les statues connaîtront le même sort que celles de Thorvaldsen puisque les ajouts sont des reconstitutions « réversibles » fixées à l’aide d’aimants. Ce principe de « réversibilité » est devenu important de nos jours. En utilisant des produits qui pourront être éventuellement retirés par un autre intervenant, on reconnaît que des matériaux et des techniques pourraient se révéler plus pertinents dans l’avenir.

Faut-il donc restaurer à la perfection au point de tromper le spectateur ? Faut-il infliger une chirurgie plastique qui redonne un semblant de jeunesse éternelle ou, au contraire, laisser apparents les signes inéluctables du vieillissement ? Qu’en est-il lorsque l’archéologue et historien d’art Adolf Furtwängler (1853-1907) propose de revamper la Vénus de Milo en y greffant des fragments de bras trouvés au moment de la découverte de la célèbre déesse ? C’est pour contrer ce genre d’abus que l’ARIPA (Association pour le Respect de l’Intégrité du Patrimoine Artistique) a proposé que des renseignements complets soient inscrits sur les cartels des musées, indiquant les dates des restaurations et le nom des intervenants. Et pour la même raison que l’on privilégie désormais le respect de l’oeuvre originale, le restaurateur ne pouvant plus s’adonner à la « re-création » d’éléments disparus.

Financement privé/public

La restauration, on s’en doute, nécessite de grands moyens financiers dont les sommes proviennent tantôt d’organismes publics, tantôt du secteur privé. Dans certains cas, la formule adoptée sera celle de la souscription publique, laquelle connaîtra quelques succès au Québec, notamment avec le monument à sir George-Étienne Cartier de George William Hill (1862-1934). Inaugurée en 1907, l’oeuvre sera restaurée grâce à une souscription lancée en 1912. (C’est d’ailleurs à ce type d’implication populaire que l’on doit la création de plusieurs oeuvres publiques, comme la statue de la Vierge de Louis Jobin, au cap Trinité – voir plus loin – et le monument aux héros de la guerre des Boers qui honore les soldats canadiens décédés en Afrique australe [1899-1902]. Réalisé également par George William Hill, le monument se dresse au centre-ville de Montréal, à l’ancien square Dominion, nommé aujourd’hui square Dorchester et place du Canada 7.)

Une autre formule originale : celle du château de Versailles qui a mis sur pied une campagne de financement visant à restaurer les sculptures de ses jardins en invitant la population à « adopter » l’une des statues. L’initiative semble connaître un vif succès puisque plus d’une centaine de sculptures ont été adoptées par des particuliers, des petites et grandes entreprises, des associations et des collectivités de partout dans le monde. En plus de profiter de déductions fiscales–pouvant aller jusqu’à 66 % pour un individu–, les donateurs voient leur nom inscrit sur l’échafaudage de chantier lors de la restauration et sur le cartel de l’oeuvre restaurée.

À l’échelle internationale, l’UNESCO possède un programme qui veille à préserver le patrimoine mobilier en danger. En 1954, à la suite des destructions massives durant la Seconde Guerre mondiale, les membres adoptaient la Convention pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé. Elle constituait « le premier traité international à vocation universelle dédié à la protection du patrimoine culturel en cas de conflit armé. […] Un processus de  réexamen de la Convention a commencé dès 1991, aboutissant à l’adoption d’un deuxième Protocole à la Convention de La Haye, en 1999 8. » Au moment d’écrire ces lignes, l’organisme achevait un projet pilote–financé par les États-Unis – afin de documenter et de référencer les collections du Musée de Kaboul et de restaurer les objets détruits par les Talibans. Réalisé en collaboration avec le ministère afghan de l’Information et de la Culture et la Société de préservation du patrimoine culturel afghan (SPACH), le projet a permis de constituer une base de données informatique des collections et d’initier du personnel aux techniques de conservation et de restauration.

Musées

Au Canada, seuls quelques grands musées possèdent un département de restauration d’oeuvres d’art. Au Musée des beaux-arts de Montréal, l’initiative remonte à la fin des années soixante-dix avec l’embauche du restaurateur de peinture Robert Ashton, puis de Rodrigue Bédard–avant cela, les restaurations étaient effectuées à contrat dans le secteur privé. Avec détermination et clairvoyance, ce dernier s’est consacré au fil des ans à développer un véritable département muni des équipements de pointe indispensables et à s’entourer de collaborateurs. Dirigé aujourd’hui par Richard Gagnier, l’atelier compte six employés, dont quatre restaurateurs et deux techniciens, chacun d’eux spécialisé dans un domaine particulier: peinture, encadrement et dorure, sculpture, arts décoratifs, arts graphiques, art contemporain, etc.

Lorsque nous l’avons rencontré, en juillet dernier, il nous a indiqué privilégier la conservation de type préventif où les interventions sont minimales et le moins possible importunes. « Il arrive même, disait-il, que nous mettions plusieurs années avant de nous décider à intervenir sur une pièce, faute de trouver la bonne intervention ou la manière de l’appliquer, comme ce fut le cas pour Condensation Cube de Hans Haacke acquis par le Musée des beaux-arts du Canada. Il s’agit d’un cube de plexiglas scellé contenant quelques centimètres d’eau distillée produisant par tension de vapeur des gouttes de condensation sur les parois internes. Fabriqué par l’artiste, le dessus du cube n’étant pas parfaitement hermétique sur deux petites zones, les conditions d’humidité et l’air stagnant ont fini par provoquer des moisissures brunâtres en ces endroits. Que faire alors ? Comment remédier à la situation, comment accéder à ces zones pour les nettoyer sans devoir “démanteler” la sculpture et, par ce geste, risquer de l’endommager ? Un même “casse-tête” s’est présenté avec Animal Preserve no. 2 de Iain Baxter où des animaux en peluche sont submergés dans des bocaux remplis d’eau distillée. Certains animaux n’ayant pas été suffisamment gorgés d’eau avant leur immersion, ils ont peu à peu absorbé une partie du liquide dans lequel ils étaient supposés s’engloutir, créant une situation propice à la prolifération de moisissure, avec un volume restreint d’air et d’humidité extrême. Et que dire de Tilleul de Martin Honert, de la collection du Musée des beaux-arts de Montréal, dont la structure interne s’est fragilisée en maints endroits, probablement durant le transport, causant un affaissement des branches et de la forme générale de l’arbre. Or, le “feuillage” de ces branches est constitué de plusieurs milliers de confettis, résinés et collés sur des blocs de polystyrène et de grillage métallique. Comment, dès lors, rétablir l’apparence initiale de l’oeuvre autrement qu’en intervenant directement sur l’ossature interne sans briser plus avant l’objet, l’accès à la source du problème étant quasi impossible ? Voilà le genre de questions auxquelles nous sommes confrontés régulièrement. Chaque cas qui nous est soumis est souvent unique et demande une action appropriée. Quelle méthode adopter lorsque des oeuvres sont réalisées avec des matières organiques, que ce soit de la confiture ou des alvéoles en cire provenant de ruches d’abeilles, comme dans les oeuvres d’Aganetha Dyck ? Un autre exemple posant problème est celui des pièces qui, par leur nature même, n’acceptent aucune marque de vieillissement. Que des craquelures apparaissent sur un tableau ancien, la chose est acceptable et devient un gage historique de son authenticité. Elles ne le sont plus du tout quand il s’agit d’une toile de Barnett Newman où les “champs colorés” doivent demeurer “impeccables” puisque c’est la couleur et la notion du sublime qui constituent le sujet même de la peinture… Pour toutes ces raisons, nous veillons désormais, si cela est possible, à établir avec l’artiste un “protocole de réinstallation” dans lequel sont clairement indiquées les procédures à suivre afin de préserver l’expérience souhaitée. De même, le musée préconise l’établissement d’un “rapport d’état” au moment de faire l’acquisition d’une oeuvre, ce qui permet de préciser l’état actuel de la pièce et les éventuelles mesures qui devront être prises pour sa conservation.»

Centre de conservation du Québec

Regroupant des oeuvres dont certaines datent de plusieurs siècles, la sculpture religieuse constitue assurément l’un des… terreaux les plus fertiles pour les conservateurs /restaurateurs, notamment ceux qui travaillent au Centre de conservation du Québec. Voici quelques exemples connus.

C’est à la suite d’une guérison apparemment « miraculeuse » que Charles-Napoléon Robitaille, un commis-voyageur de Québec, décide d’élever une statue de la Vierge au cap Trinité en faisant appel au sculpteur Louis Jobin. Surnommée La Madone du Saguenay, elle sera érigée en 1881. Une première restauration sera faite en 1913 et une autre en 1943, organisée par la Société historique du Saguenay. De nouveaux travaux seront effectués par les frères Maurice et Pierre Ouellette et, en 2008, le Centre de conservation du Québec se chargera de lui redonner « sa couleur blanche originale » (Éric Tremblay, www.riviere-eternite.com).

Le chemin de croix de l’Ermitage Saint-Antoine de Lac-Bouchette, au Saguenay–Lac-Saint-Jean, réunit quarante-trois personnages réalisés en pierre calcaire entre 1919 et 1925 par les artistes d’origine belge Anselme Delwaide et Rodolphe Goffin, installés au Québec depuis 1914 : « Les sculpteurs, note Isabelle Paradis, ont utilisé la montagne sur le site pour créer leur propre version de la montée du Golgotha 9. » L’oeuvre sera restaurée en 1999 par le CCQ. Toujours sur le terrain de l’Ermitage, un calvaire extérieur est aménagé en 1918 sous un édicule. Comprenant six personnages, c’est l’un des plus élaborés au Québec. Jésus est entouré du bon et du mauvais larron avec, à ses pieds, Marie, l’apôtre Jean et Marie-Madeleine. Sculpté par Louis Jobin et décoré initialement par Charles Huot, il sera également restauré par le Centre de conservation du Québec en 2003.

En 1975, l’église Saint-Jacques-le-Mineur est démolie pour faire place aux bâtiments de l’Université du Québec à Montréal qui intègrent le clocher et la façade du transept sud. Un élément important de ces travaux fut la restauration de la statue de saint Jacques le Majeur, attribuée à Olindo Gratton (1855-1941) et datée de 1889. Elle mesure environ 4,5 mètres et repose sur un piédestal de facture différente, probablement l’oeuvre d’un ferblantier-couvreur. La sculpture est en bois, recouverte de feuilles de cuivre. Les travaux de restauration ont été effectués par le sculpteur Fabien Pagé à son atelier de Donnacona. L’ancienne structure interne a été remplacée par une nouvelle en acier inoxydable, avec un système d’ancrage à la base et un anneau à la tête afin de faciliter l’installation de la statue. On procéda également à un nettoyage complet de la surface et à l’application d’un vernis de protection, ce qui confère un aspect de cuivre brillant orangé qui vieillira peu à peu vers le vert pâle.

Mais les interventions du Centre de conservation du Québec ne se limitent pas à l’art sacré ancien. Regroupant une trentaine de restaurateurs, dont dix spécialisés en sculpture, il reçoit des commandes provenant autant de particuliers que de musées et d’organismes publics, comme la Société de transport de Montréal qui lui a confié la tâche de restaurer des oeuvres d’art du métro. Lors de ma visite, j’ai rencontré Isabelle Cloutier qui m’a présenté quelques « cas » en chantier, dont celui de la murale extérieure de Jordi Bonet au pavillon Pouliot de l’Université Laval. Une pièce imposante réalisée en 1963 et constituée de 3 591 tuiles en céramique fabriquées par l’artiste en Belgique. Alors que certaines d’entre elles se sont décollées du mur porteur à cause du tassement progressif de la brique, d’autres se sont détériorées à la surface, notamment avec l’apparition de craquelures dans la glaçure. Comme il y a très peu de littérature sur la céramique extérieure, d’importantes recherches doivent être menées afin de trouver des matériaux de restauration adéquats.

Il arrive également que l’on fasse appel à des experts oeuvrant dans d’autres départements comme l’atelier de mobilier pour la restauration de l’imposant Château d’eau: lumière mythique (1997) d’Irene F. Whittome, dont la structure interne en bois était pourrie, ou encore à des professionnels de l’extérieur. Pour Involment no 2 (1969), par exemple, une oeuvre lumineuse interactive de Marco Lepage, on a dû recourir aux services d’un maître électricien pour une « mise aux normes » du filage électrique et ce, tout en respectant les dimensions des éléments originels. Même procédure pour Cerveau III recherche une idée (1974) de Denis Poirier –en collaboration avec le goupe Homo-Ludens–, une oeuvre multimédia complexe qui combine des systèmes interactif, lumineux, sonore, optique et cinétique. Située au départ dans le hall d’entrée du Palais de justice de Salaberry-de-Valleyfield, l’oeuvre a dû être relocalisée parce qu’on agrandissait l’édifice. C’est après l’avoir démontée et testée qu’on a pu constate l’ampleur des dommages aux différents systèmes électriques et électroniques. Avant de la réinstaller dans son nouvel emplacement, note Stéphanie Gagné, il a fallu « procéder à sa documentation et à sa restauration : démontage des différents modules, recherche d’un fournisseur de feuilles de plexiglas de couleurs fluorescentes semblables à celles d’origine, reproduction des modules manquants, consolidation et nettoyage des divers modules et éléments 10. » Le « cerveau » […] ainsi que les systèmes électrique, lumineux et de détection des mouvements ont également été restaurés. Voilà qui donne une bonne idée de toute la complexité du travail des restaurateurs !

Expositions

Depuis quelques années, les conservateurs/restaurateurs tentent de faire voir leurs découvertes au moyen d’expositions à caractère documentaire et pédagogique. Tout en présentant les techniques d’avant-garde en conservation/restauration, ces expositions permettent une meilleure compréhension de l’étude et de la sauvegarde des biens culturels auprès du grand public. L’une d’elles est l’exposition itinérante Bunte Götter. Die Farbigkeit der antiken Skulptur qui, depuis 2003, circule dans divers musées en Europe. Organisée par le Dr Vinzenz Brinkmann, conservateur à la glyptothèque de Munich, elle vise à contrer notre vision erronée de l’art antique en démontrant que le marbre des statues gréco-romaines n’était pas, comme on le croyait, d’un blanc immaculé, mais recouvert de couleurs vives.

Mise sur pied en collaboration avec le Centre de conservation du Québec, l’exposition Restauration en sculpture ancienne, au Musée du Québec en 1995, fut la première du genre au pays. On y dévoilait les différents aspects du travail de restauration et de conservation, et les divers types d’interventions mis de l’avant pour préserver des sculptures en bois et les mettre en valeur. Parmi elles : une statue de Wolfe par Louis Jobin ; une tête d’ange provenant du retable de la chapelle des Ursulines de Québec ; et un relief polychrome, Saint Martin partageant son manteau avec un pauvre (v. 1796 ou 1809) attribué à François Guernon dit Belleville – et qui a nécessité plus de 2 000 heures de travail. « La restauration muséologique, écrit Suzanne Cotte, se distingue de la restauration commerciale par son aspect documentaire et son approche minimaliste. […] La documentation est une étape fondamentale en restauration, surtout qu’on peut maintenant bénéficier d’une technologie poussée : photographie à infrarouge, ultraviolet, radiographie, spectrographie, stratigraphie… L’information obtenue est répertoriée et conservée sur fichier informatique. Chaque pièce du décor est décrite : dimensions, composantes, matériaux, altérations, repeints, ajouts, retraits, bris, etc. Après avoir détaillé l’état de conservation de l’oeuvre, les restaurateurs déterminent les traitements à effectuer sur chacune de ses parties 11. »

Nouveaux défis

Plusieurs pratiques en art contemporain posent de nouveaux défis en ce qui a trait à la conservation/restauration des oeuvres. La diversité des matières, leur fragilité souvent, la variété des formes et des techniques, la prolifération des composantes technologiques obligent à remettre en question les approches traditionnelles. Quelles procédures adopter lorsqu’il s’agit d’oeuvres éphémères, performatives, conceptuelles, périssables ou confectionnées à partir de matériaux usinés ? Ou, pour dire les choses autrement : comment concilier fugacité et conservation ? Un autre enjeu de taille : l’obsolescence des matériaux. Comment restaurer une installation de Nam June Paik alors que les téléviseurs cathodiques d’autrefois sont de plus en plus difficiles à trouver ? Et que faire avec des oeuvres qui intègrent des diapositives alors qu’on ne trouve plus de projecteurs sur le marché ?

Depuis 2008, un projet de recherche sur les polymères plastiques et les matériaux modernes a été élaboré par une douzaine d’institutions européennes. Financé par la Commission européenne, le projet POP’ART (Preservation Of Plastic ARTefacts in museum collections) a permis de développer une procédure commune afin de mieux préserver les objets en plastique dans les collections muséales. Le collectif a fait part de ses conclusions lors de journées de conférence tenues à Paris en mars dernier. Après avoir identifié divers types de plastique et évalué l’état des dégradations, il a défini divers traitements de conservation. En 2011, l’Institut canadien de conservation a organisé, en partenariat avec Bibliothèque et Archives Canada, un symposium portant sur les adhésifs et les consolidants, des éléments qui se retrouvent dans de nombreux traitements de restauration. Intitulé Adhésifs et consolidants pour la conservation : Recherche et applications, l’événement regroupait des restaurateurs et des scientifiques de plusieurs pays (www.cci-icc.gc.ca).

Au-delà des seules investigations sur les matériaux, certains chercheurs en viennent à proposer de nouvelles « notions » afin de réorienter le travail des conservateurs/restaurateurs. Spécialisée en peinture de chevalet et en art contemporain, Anita Durand avance le concept de ré-instauration, qu’il ne faut considérer, souligne-t-elle, «ni comme une oeuvre ni comme la traduction immuable d’un protocole préétabli, mais plutôt comme une version de l’oeuvre, à l’instar de celle que le musicien nous proposerait d’une partition ; l’ambition étant d’en perpétuer le sens et la valeur sans la dénaturer 12 ».

Un autre concept, celui des médias variables, a été élaboré par Jon Ippolito, conservateur associé au Guggenheim Museum. « Ce concept, note Alain Depocas, propose de considérer la description d’oeuvres indépendamment des médiums sur lesquels elles reposent. Ainsi, plutôt que d’énumérer les composantes physiques de l’oeuvre, l’approche des médias variables cherche à comprendre les caractéristiques comportementales et les effets intrinsèques et constitutifs de l’oeuvre 13. » Depuis quelques années, le musée newyorkais s’est associé à l’organisme Forging the Future et à la Fondation Daniel Langlois pour l’art, la science et la technologie. Ce Réseau des médias variables a développé un questionnaire interactif – le Questionnaire des médias variables–adressé aux artistes pour leur permettre d’apporter des indications quant à la présentation et à la conservation de leurs oeuvres (variablemedia.net). C’est ainsi qu’ont été revus et redéfinis des termes comme installation, performance, interactivité, reproduction, duplication, encodage, réseau, etc.

Nul doute que les avancées technologiques actuelles continueront à fournir des outils de recherche de plus en plus sophistiqués dans un secteur d’activités en pleine ébullition où il ne s’agit rien de moins que de sauvegarder et de perpétuer notre mémoire collective.

 


  1. Marguerite Yourcenar, Le Temps, ce grand sculpteur, Paris, Éditions Gallimard, 1983.
  2. Paul Philippot, « La restauration des sculptures polychromes », Studies in Conservation, vol. 15 n. 4, Nov. 1970, p. 248.
  3. Code de déontologie et Guide du praticien de l’Association canadienne pour la conservation et la restauration des biens culturels et de l’Association canadienne des restaurateurs professionnels. Troisième édition. 2000 ACCR et ACRP. Traduit de l’anglais (consulté le 10 juin 2012).
  4. John Ruskin, Les Sept lampes de l’architecture, chapitre VI, Londres, 1849. Traduit de l’anglais par G. Elwall. Les Presses d’Aujourd’hui, 1980, p. 204.
  5. François Mauriac, Journal, 1937. Cité dans la revue Nuances, no 22, novembre 1999, p. 6.
  6. James Beck, « Un débat, au Louvre », traduction C. Vermont, revue Nuances, no 31, printemps 2003, p. 9.
  7. En 2009, on a confié à la firme Dolléans Art Conservation la restauration de la sculpture équestre (la seule à Montréal) qui couronne le monument.
  8. Voir : www.unesco.org (consulté le 24 juin 2012).
  9. Isabelle Paradis, « Le chemin de croix d’une restauration », revue Continuité, no 97, 2003, p. 11.
  10. Stéphanie Gagné, « Remue-méninges », revue Continuité, no 131, p. 16.
  11. Suzanne Cotte, « Restaurer avec passion », revue Continuité, no 62, p. 39-41.
  12. Anita Durand, « Valeurs, compromis et polémiques », CeROArt [En ligne], 4 | 2009, mis en ligne le 14 octobre 2009 (consulté le 26 juin 2012). URL : http://ceroart.revues.org/1259.
  13. Alain Depocas, 2003. www.fondation-langlois.org (consulté le 29 juin 2012).