Serge Fisette
N° 102 - hiver 2012

Restaurations de sculptures publiques à Montréal (entretien avec Snejanka Popova 1)

La Ville de Montréal possède une importante collection d’oeuvres d’art public, lesquelles exigent une attention constante quant à leur préservation. À quelle instance municipale cette tâche est-elle dévolue ? Quelle est la politique de la Ville à cet égard ?

Snejanka Popova : La gestion de la restauration et de l’entretien de la collection municipale d’oeuvres d’art public est confiée au Bureau d’art public de la Direction de la culture et du patrimoine de la Ville de Montréal.

En matière de restauration, le Bureau d’art public a acquis, au fil des ans, une vaste expertise. Chaque projet de restauration est unique, il fait appel à des connaissances et à un savoir-faire particuliers. Notre intervention s’adapte sans cesse aux besoins des oeuvres. Notre objectif est de redonner ou de maintenir l’intégrité de l’oeuvre en respectant l’intention de l’artiste et en accord avec les principes des grandes chartes de conservation.

En plus de compter sur une ressource interne spécialisée à la fois en ingénierie et en conservation du patrimoine, le Bureau d’art public travaille en collaboration avec des équipes interdisciplinaires, notamment le laboratoire de la Ville, le Centre de conservation du Québec, de même que des experts du domaine de l’architecture, de l’ingénierie, des métiers traditionnels, des métiers issus des nouvelles technologies et de la recherche scientifique.

Lors de la réalisation des travaux de restauration, le Bureau d’art public fait appel aux services de restaurateurs professionnels, d’artisans, d’entreprises spécialisées en manipulation et en transport d’oeuvres d’art, etc.

Une équipe de cols bleus, formée par le Centre de conservation du Québec, entretient annuellement une grande partie des oeuvres d’art public situées sur le territoire de l’ancienne Ville de Montréal. Cette équipe est responsable de l’enlèvement des graffitis, du lavage des oeuvres, du remplacement de la cire (couche protectrice) sur les sculptures de bronze, etc. Pour retarder le degré de détérioration de la collection, le Bureau d’art public, en collaboration avec l’équipe d’entretien, identifie chaque année les oeuvres d’art à entretenir. Nous accordons une attention particulière aux oeuvres situées dans des lieux très achalandés, ainsi qu’aux oeuvres récemment acquises ou restaurées. Les arrondissements issus des anciennes villes de l’île de Montréal effectuent les travaux d’entretien des oeuvres situées sur leur territoire respectif. Cependant, ils font appel à l’expertise du Bureau d’art public dans le choix des produits et des méthodes d’intervention à préconiser.

 

Bien que chaque cas soit particulier, quelles sont les techniques généralement utilisées pour les pièces en bronze ? Pouvez-vous nous décrire les différentes étapes du processus ?

Les techniques de restauration des bronzes des oeuvres d’art public doivent être choisies de façon à permettre d’assurer la bonne conservation des pièces, ainsi qu’une bonne « stabilisation et protection » en milieu extérieur. De plus, en les utilisant, on veut conserver certaines marques du passage du temps sur les sculptures et respecter leur intégrité de façon réversible.

Une recherche historique et une inspection de l’état physique de l’oeuvre précèdent les travaux de restauration des bronzes.

Les grandes étapes du processus de sauvegarde des bronzes situés à l’extérieur sont :

DÉPOSE ET TRANSPORT, SI REQUIS
Cette étape comprend le déboulonnage, le cas échéant, des sculptures de leur socle, le levage et l’installation sur un camion pour le transport vers l’atelier de restauration.
La Ville de Montréal privilégie la restauration des éléments en bronze d’un monument in situ plutôt qu’en atelier pour éviter les risques de dommages lors de la manipulation des oeuvres. Toutefois, il arrive très souvent que l’on doive les déposer pour permettre la restauration du piédestal en maçonnerie ou le remplacement des éléments d’assemblage ou des ancrages détériorés de ces bronzes.

NETTOYAGE PRÉLIMINAIRE
Lavage à l’eau afin d’enlever toutes les saletés (poussière, fientes de pigeon, etc.) et de mieux analyser la surface du bronze.

ÉLIMINATION DE LA CORROSION
Cette étape vise à éliminer les produits de corrosion superficielle et pulvérulente. Certains restaurateurs utilisent la technique de gommage (projection d’un abrasif végétal à une pression ajustable selon les types de corrosion et d’altération) ; d’autres, la technique de nettoyage avec de l’eau à haute pression et un détergent non ionique à l’aide de brosses en nylon. Cette étape se termine par un nettoyage à l’eau à l’aide de brosses douces et de savon anionique.

RESTAURATION STRUCTURELLE, SI REQUIS
La reconstitution des pièces manquantes (basée sur des photographies) ou le remplacement des boulons et des gougeons d’assemblage ferreux ou défectueux sont parfois nécessaires.

RESTAURATION DE LA SURFACE
Cette étape débute par la reprise de la patine afin d’améliorer la lisibilité des détails sculpturaux. On applique ensuite deux couches de cire microcristalline pour protéger la surface. La première couche de cire est appliquée sur les bronzes préalablement chauffés au chalumeau afin de réduire le plus possible la porosité du bronze. La seconde couche de cire est appliquée à froid. Cette protection forme une barrière entre le métal et l’environnement corrosif. Elle assure également une défense contre les fientes de pigeons et les graffitis en évitant leur imprégnation dans les pores du bronze.

À la fin du processus, le restaurateur fournit un rapport qui inclut des photos prises avant, pendant et après les travaux, ainsi que les fiches techniques des produits utilisés.

TRANSPORT ET REPOSE, SI REQUIS
Cette étape comprend le chargement sur un camion, le transport de l’atelier de restauration vers l’emplacement de l’oeuvre et l’installation sur son support (piédestal, socle, etc.) avec des ancrages.

INSPECTION DES BRONZES RESTAURÉS, 6 À 12 MOIS APRÈS LE PARACHÈVEMENT DES TRAVAUX
Cette inspection est effectuée par le restaurateur afin de s’assurer de la bonne stabilisation du métal. Au besoin, il effectue des retouches et produit un rapport de l’inspection ainsi qu’un devis d’entretien.

ENTRETIEN ANNUEL DES BRONZES DÉJÀ RESTAURÉS
Cet entretien est exécuté par l’équipe d’entretien de la Ville en fonction du devis d’entretien fourni par le restaurateur de l’oeuvre. En général, les interventions requises sont le lavage à l’eau et le remplacement de la cire.

 

Pouvez-vous nous donner des exemples de restaurations d’oeuvres publiques qui se sont révélées particulièrement complexes ?

La restauration du Monument à sir George-Étienne Cartier (1919) constituait certainement un défi de taille. Elle comprenait la reconstruction de la structure en béton supportant la terrasse, la restauration des éléments en granit, le rétablissement de l’intégrité structurale de la sculpture couronnant le monument et la restauration des bronzes. La Renommée a toutefois été restaurée sur place grâce à un échafaudage spécialement conçu par les spécialistes. Les dix-sept personnages et les quatre lions en bronze ont été déposés, transportés et restaurés en atelier.

La restauration de Migration, de Robert Roussil, était aussi un projet stimulant ! Créée en 1967 pour l’Exposition universelle, la sculpture est composée de lourdes pièces en fonte. Soucieux de voir le matériau brut, Roussil ne peignait jamais ses oeuvres extérieures en fonte. Il les protégeait avec une « huile de vidange » pour que le grain de fonderie demeure intact. Grâce aux photos de l’époque et à l’implication de l’artiste, nous avons reconstitué les deux pieds manquants, soudé à froid les pieds cassés, retiré la corrosion et appliqué deux couches d’huile pénétrante.

 


  1. Snejanka Popova est ingénieure au Bureau d’art public de la Ville de Montréal.