Cassandre Chatonnier
n° 127 - hiver 2021

Partager le temps d’un pow-wow

Dans le regard d’autrui, la présence autochtone à Montréal ne semble parfois se limiter qu’aux aspects négatifs, comme l’itinérance. La vie culturelle autochtone de la métropole témoigne pourtant d’une dynamique bien différente. Déjà, en 2003, l’anthropologue Carole Lévesque soulignait l’importance des activités culturelles qui ont lieu en contexte urbain; ces dernières étant essentielles à la rencontre entre les différentes Premières Nations, mais aussi entre les Autochtones et les non-autochtones. L’urbanité n’est pas à associer avec « l’acculturation ou la dépossession culturelle[1] »; au contraire, c’est un lieu qui peut laisser place à de nouveaux modes d’expression. Dans cette optique, l’un des événements majeurs à Montréal est le pow-wow de la First’s People’s House de l’Université McGill, qui se déroule tous les ans à l’automne. Nous parlerons donc, dans ces lignes, des éditions 2017, 2018 et 2019 de ce pow-wow comme espace de rencontre et de partage.

Le pow-wow contemporain est un événement festif et rassembleur, marqué par un métissage entre danses traditionnelles et contemporaines dont la « structure formelle et certains de ses rites cérémoniels ravivent des formes culturelles amérindiennes immémoriales[2] ». Depuis 10 ans, ces célébrations sont en plein essor, et beaucoup de nouveaux pow-wow se créent dans les communautés autochtones territoriales d’Amérique du Nord. À la période estivale, des membres de toutes les communautés font « la route des pow-wow » : des familles de danseurs se déplacent d’un pow-wow à l’autre, et parcourent ainsi des centaines de kilomètres. Dans nombre de cas, ils rassemblent Autochtones et non-autochtones, mais participent également à la création d’un espace culturel sécuritaire grâce à leur grande dimension communautaire. En ce sens, comme l’avance Tara Browner : « Pour beaucoup de familles autochtones résidant en milieu urbain ils offrent un espace de rassemblement communautaire le temps d’un weekend pour la famille élargie et les amis, une occasion rare où les Premières Nations constituent une majorité et peuvent ainsi interagir dans un espace culturel sécuritaire[3] ». Avec le mouvement des Autochtones vers les villes, les pow-wow sont devenus de plus en plus présents en milieu urbain. Ces derniers permettent de créer des lieux d’expressions dans un milieu parfois aliénant pour les Premières Nations, et donnent du sens à des espaces loin de la communauté d’origine. Le lieu quotidien est transformé par l’événement. Comme le souligne Jay T. Johnson : « En démarquant l’aire de danse avec des cérémonies qui créent un “terrain sacré”, on génère un espace et un usage distincts de ce qui serait autrement un terrain de basketball dans une grande zone urbaine[4] ».

L’Université McGill a à cœur de reconnaître sur son campus la présence autochtone, à la fois passée et actuelle, où 385 étudiants s’identifient comme étant Autochtones[5]. Afin que ces étudiants se sentent bien et pour éviter le sentiment d’isolement mentionné par Johnson, la First People’s house, l’un des services étudiants de l’Université McGill, propose différentes activités culturelles, dont le pow-wow, qui fait partie de ce programme culturel depuis 19 ans. Ayant de grandes similarités avec les pow-wow des territoires, il est un lieu de partage culturel.

Le pow-wow possède une organisation spatiale très précise, la plupart du temps circulaire, mais qui va s’adapter selon le site sur lequel il se trouve. L’aire centrale est réservée à la danse. Le cercle suivant est composé de la famille et des amis des danseurs. Viennent ensuite le reste des spectateurs, et enfin les artisans/commerçants. Cette configuration témoigne d’une circularité plus large, qui englobe un certain mode de vie et une manière d’envisager le monde. Selon le témoignage d’un aîné de Wendake, Le cercle a plusieurs entrées, quatre directions, pour les quatre couleurs de peau du monde entier, les quatre éléments dont la mère-terre se sert pour nous nourrir, et pour les quatre âges de la vie. À l’est se trouve la naissance, c’est le lever du jour (au pow-wow on entre par la porte de l’est), au sud se trouvent la jeunesse et la chaleur, à l’ouest se trouvent les parents et la pluie, et au nord se trouvent les grands-parents et le vent. Autour du cercle, tout le monde est égal et inclus.

La configuration spatiale du pow-wow de McGill n’est pas circulaire. En 2018, l’événement s’est déroulé sous une grande tente rectangulaire, avec, tout autour, les kiosques d’artisanat autochtone (bijoux en perles, t-shirts, sauge, etc.). En 2019, la tente était beaucoup plus grande et abritait l’ensemble du pow-wow : le cercle de danse, l’espace des tambours, et quelques kiosques. Ainsi, même si l’espace d’accueil de l’événement restait rectangulaire, la circularité du mouvement se faisait quand même plus présente, et l’espace permettait d’accueillir plus de personnes.

La configuration spatiale est donc différente, mais les danses respectent le même ordre (très spécifique) que celui des pow-wow des territoires. Les danses intertribales, où les non-autochtones peuvent venir danser, permettent de créer un espace partagé entre les danseurs autochtones et les étudiants de McGill venus y assister. Chaque année, les spectateurs sont invités à participer à une danse en cercle. Ainsi, dans une grande ligne humaine les participants investissent l’espace d’une manière différente, remettant en question le rapport traditionnel spectateur/danseur.

Le pow-wow de McGill rassemble un public diversifié. On peut y voir des danseurs, des joueurs de tambour et des étudiants bien entendu, mais aussi des groupes scolaires de tous âges, et même des tout-petits venus avec la garderie. Par ailleurs, c’est un lieu de partage culturel qui, avec une offre d’artisanat et de nourriture, va au-delà de la danse. Le Centre d’Amitié Autochtone propose par exemple du ragout d’orignal et de la banique (pain traditionnel autochtone). Le pow-wow est aussi un lieu de partage spirituel. En 2017, une danse d’honneur fut présentée en hommage aux participants décédés des premiers pow-wow de McGill. Les mots du maitre de cérémonie résonnaient particulièrement fort dans ce contexte : « Ils sont là avec nous. Leur esprit danse avec nous. Le petit fils de l’une d’entre elles danse aujourd’hui ». L’année suivante, un homme fit un discours pour honorer son cousin qui s’était donné la mort ainsi que pour les jeunes Autochtones qui mettent fin à leurs jours. Là encore, une danse et un chant d’honneur avaient suivi ce discours. Lors du pow-wow, le deuil se danse en public.

Ce pow-wow s’inscrit donc en milieu urbain tout en respectant les traditions des territoires. Il permet aux étudiants autochtones de se sentir dans un endroit sécuritaire et accueillant qui respecte leur spiritualité. En faisant sortir le pow-wowe la communauté, les Autochtones affirment leur légitimité sur l’ensemble du territoire. Que ce soit sur une place publique ou sur le campus d’une université, ils s’approprient l’espace à travers l’événement, y manifestent leur identité. Le pow-wow est également une manifestation propice à la réconciliation en créant un espace partagé entre les communautés autochtones, universitaires, auxquelles s’ajoutent les participants extérieurs. Le public non-autochtone y est accueilli avec bienveillance et considéré d’emblée, malgré certaines de ses ignorances quant aux cultures des Premières Nations, comme un allié. Les connaissances acquises lors de l’événement contribuent à faire tomber certains préjugés à l’extérieur de l’espace du pow-wow en véhiculant une image positive des Premières Nations.


[1] Carole Lévesque, « La présence des Autochtones dans les villes du Québec : mouvements pluriels, enjeux diversifiés » dans Des gens d’ici Les Autochtones en milieu urbain,, sous la dir. de David Newhouse et Evelyn Peters, Ottawa : Programme de recherche sur les politiques, 2003, p. 35.

[2] Guy Sioui Durand, « L’onderha » dans Inter: Art actuel, n°122, 2016, p. 5.

[3] Tara Browner, Heartbeat of the People: Music and Dance of the Northern Pow-wow. Champaign: University of Illinois Press, 2002. «For many urban Native families, they provide a community gathering place where friends and relatives comes together on week-ends for those rare occasions when other Indians constitute a majority and are able to interact in a culturally safe space» (traduction de l’autrice).

[4] Jay T. Johnson, «Dancing into place: The role of the powwow within urban indigenous communities»

In Indigenous in the city: Contemporary identities and cultural innovation, 2013, p. 216-230. «By demarking the powwow dance area with ceremonies that create «blessed ground», one makes a distinct purpose and place from what might otherwise be a basketball court within a large urban area» (traduction de l’autrice)

[5] Voir Laurence Niosi, « Pow-wow à McGill, une rare rencontre entre les peuples », Radio-Canada, 16 septembre 2017. [En ligne]: bit.ly/39BYz5L.


Diplômée de l’école Boulle en « design d’espace », Cassandre Chatonnier s’est spécialisée en scénographie de théâtre grâce au baccalauréat en « Design for the Theatre » de l’Université Concordia. Depuis l’obtention de son diplôme, elle travaille comme scénographe, et s’intéresse particulièrement à la relation entre l’acteur et l’espace. Elle détient une maitrise en théâtre de l’UQAM sur ce sujet. Elle est aujourd’hui au doctorat en Études Urbaines INRS, où elle s’intéresse au lien entre performances autochtones et appropriation de l’espace, et à la co-création d’une méthodologie pour repenser les espaces publics urbains à travers la danse.

Fancy danseurs, pow-wow de Wendake. photo : https://indigenoustourism.ca/fr/activites/pow-wow-international-de-wendake/
Pow-wow de Kahnawake, aire de danse avant la grande entrée, 2017. Photo : Cassandre Chatonnier.
Danse intertribale lors de la 19ème édition du pow-wow de l’université McGill, 2019. Photo : Egan/Dufour.
Pow-wow international de Wendake, 2019. Photo : Cassandre Chatonnier.
Vue extérieure de la tente accueillant le Pow-wow de l’Université McGill, 2019. Photo : Cassandre Chatonnier.
Pow-wow international de Wendake, 2019. Photo : Cassandre Chatonnier.