Aseman Sabet
N° 103-104 – printemps-été 2013

Nouvelles problématiques de l’éphémère

Dans la quasi-totalité des projets d’art public, la notion de durée est partie intégrante des oeuvres, puisque ces dernières sont le plus souvent issues d’une réflexion implicite sur la rencontre, dans le temps, entre les matériaux et l’environnement. Les oeuvres extérieures, en particulier, doivent êtres pensées en fonction de leur préservation, de leur résistance aux intempéries. Il s’agit d’un problème classique de l’art public, qui est aujourd’hui encore inhérent à la conception des oeuvres, mais qui touche également différentes étapes dans la mise en espace après la production.

À titre d’exemple, on peut mentionner deux oeuvres de Valérie Blass qui, dans le cadre de l’exposition collective Configurations 1, inaugurée par le Public Art Fund à Brooklyn à l’automne 2012, ont été contraintes à être installées dans le hall d’un édifice à bureaux du complexe Metro- Tech, plutôt que dans le parc à proximité où il était prévu qu’elles soient présentées avec d’autres sculptures. Si l’artiste avait déjà envisagé le risque de détérioration de Orca Gladiator (2012) et de Meuble Mécanique (2012) dans un cadre extérieur, ce n’est que pendant le montage, à quelques jours de l’ouverture de l’exposition, que l’équipe du Public Art Fund comprit l’ampleur du risque et prit la décision de les installer à l’intérieur.

À un problème classique, une solution classique. Pourtant, contrairement à la logique de la politique du 1 % qui vise une intégration durable de l’art à l’architecture, le Public Art Fund multiplie les projets d’art public éphémères. Dans le cas de l’exposition Configurations, qui prend fin en septembre 2013, la nécessité de minimiser les risques de détérioration se conjuguait à un délai précis, soit environ une dizaine de mois. D’autres expositions du Public Art Fund sont bien plus représentatives de cette tendance à l’éphémère, comme en témoigne Discovering Colombus (2012) de l’artiste Tatzu Nishi, dont les installations de courtes durées permettent au public d’avoir, in situ, des points de vue inusités sur des sculptures ou monuments anciens : l’installation ne durait qu’une dizaine de semaines.

Si cette ouverture à l’art public éphémère est moins présente au Québec, le premier 1 % performatif, inauguré en décembre 2012, met en relief la nécessité d’interroger la permanence des oeuvres comme paramètre a priori dans l’intégration de l’art à l’architecture. Sur une période de cinq ans, le projet performatif de Thierry Marceau animera l’architecture de l’édifice du 2-22 au centre-ville de Montréal. Certes, le choix du médium pour ce « 1 % » est une première historique, mais le fait que l’oeuvre sera en quelque sorte épuisée après sa cinquième prestation est également à considérer comme un changement de cap. Il ne s’agit pas ici de réfléchir à ce qui viendra éventuellement remplacer ou tracer une continuité avec l’oeuvre de Marceau après la présentation de son dernier volet en 2017, mais plutôt d’envisager un des apports de cette percée performative : l’engagement de l’éphémère. La question pourrait se poser ainsi : si le caractère temporaire d’une oeuvre d’art public issue du 1 % est envisageable pour répondre aux spécificités de la performance, pourquoi ne le serait-elle pas pour un autre médium ? Les différents projets chapeautés par le Public Art Fund nous prouvent la pertinence d’intégrer des oeuvres, pour la plupart sculpturales ou installatives, pour des périodes plus ou moins limitées dans l’espace public. Nous dirigeons-nous globalement vers une plus grande flexibilité dans la sélection des 1 % ?Serait-il possible d’envisager des oeuvres non performatives dont le caractère éphémère, qu’il découle de nécessités conceptuelles ou plus matérielles, soit considéré à part entière dans les concours pour l’intégration de l’art à l’architecture ?

Nombreuses sont les implications logistiques d’une telle perspective, où l’on verrait une multiplication des oeuvres publiques éphémères, tous médiums confondus. Le fait que les 1 % soient financés par les fonds publics complique évidemment le schéma, l’art public étant déjà facilement sujet aux controverses les plus étonnantes. L’idée de la permanence d’une oeuvre publique semble s’accorder à l’idée d’un meilleur investissement, comme si les paramètres quantitatifs prenaient collectivement le dessus sur les paramètres qualitatifs. Si le public non spécialisé ne peut remettre en question l’impossibilité pour une oeuvre performative d’être permanente, il y a tout à parier qu’il serait plus complexe de vulgariser la pertinence du caractère strictement conceptuel d’une oeuvre temporaire, au détriment d’une oeuvre de « longue durée » de moindre qualité qui serait en compétition pour le même concours. Bien entendu, il ne s’agit là que d’une hypothèse, et il n’en demeure pas moins que la décision en faveur d’une oeuvre performative au 2-22 permettra d’élargir l’horizon artistique auquel sont présentement confinés les 1%.

 

Aseman Sabet est doctorante en histoire de l’art à l’Université de Montréal. Sa thèse interroge le dialogue des sens et la synesthésie dans le discours esthétique du 18e siècle. Elle travaille également à titre de commissaire indépendante et de rédactrice pour différentes publications en art contemporain. Ses recherches portent sur la typologie des approches anthropologiques et, plus particulièrement, sur la resurgence du tactile dans l’art actuel. Elle vit et travaille à Montréal.

 


  1. L’exposition regroupe les oeuvres de Valérie Blass, Katinka Bock, Esther Kläs et Allyson Vieira.