André-Louis Paré
N° 107 – printemps-été 2014

Nouvel espace, nouveaux enjeux

Avec ce numéro 107, la revue Espace entreprend un nouveau cycle. Bien que fidèle à ce qu’elle a été, soit un magazine associé à la diffusion de la sculpture contemporaine, Espace, revue d’art actuel, souhaite aussi se tourner vers l’avenir. Ainsi, comme le mentionnait Serge Fisette, directeur de la revue de juin 1987 à décembre 2013, l’aventure — son odyssée, pour reprendre le titre de l’exposition célébrant les 25 ans de la revue et la parution du numéro 1001 — se poursuit avec de nombreux projets en perspective2.

Depuis ses débuts, le logo de la revue est identifié à la sculpture. Certes, de par ses différents usages développés au cours du temps, le mot sculpture a une puissance d’évocation extraordinaire. D’un point de vue philosophique, il vise la subjectivité créatrice, l’esthétique de soi. Mais dans le domaine de l’histoire de l’art, il réfère surtout à diverses formes d’œuvres produites dans l’espace. Et parce qu’il désigne parfois une conception de l’art éloignée des multiples pratiques s’exposant aujourd’hui dans différents espaces, le mot sculpture peut paraître restrictif au sein d’un univers artistique souvent multidisciplinaire. Pour y remédier, il nous apparaissait important de modifier la signature visuelle de la revue. En mettant désormais l’accent sur la notion d’espace, le nouveau logo favorise la diversité
des pratiques artistiques en lien avec la sculpture, l’installation ou toute autre forme d’art associée
à la spatialité.

Cette nouvelle identité visuelle nous invitait à réévaluer aussi la maquette de notre publication. Conçue par Dominique Mousseau, designer graphique reconnue pour ses nombreuses réalisations dans le domaine des publications en art, la revue Espace a désormais un format, une texture papier, une police de caractère et une mise en page qui se démarquent de son ancienne facture. D’un point de vue éditorial, cette aventure va également de pair avec la formation d’une nouvelle équipe de rédaction composée de Mélanie Boucher, Peter Dubé, Bénédicte Ramade et Bernard Schütze. En outre, elle se concrétise avec la parution de trois numéros par année au lieu de quatre. Ce choix de trois publications nous permettra de produire un magazine plus volumineux en vue d’offrir aux artistes des scènes canadiennes et québécoises une meilleure visibilité et de contribuer ainsi au dynamisme du milieu de l’art d’ici.

Comme par le passé, chaque parution proposera un dossier consacré à une thématique associée à des enjeux d’ordre esthétique. Nous continuerons à publier également une chronique portant sur l’art dans l’espace public. Intitulée désormais Art public et pratiques urbaines, celle-ci sera signée consécutivement par Luc Lévesque, Josiane Poirier et Aseman Sabet. De plus, mis à part les comptes rendus d’exposition, la revue publiera régulièrement dans la section Évènements des textes sur des manifestations d’envergure telles des Biennales, qu’elles soient nationales ou internationales. Enfin, des entretiens avec des artistes, des commissaires ou des théoriciens de l’art seront toujours les bienvenus afin de stimuler notre réflexion sur l’avenir de la création au sein d’un univers culturel
en pleine mutation.

Présenté en deux volets, notre premier dossier a pour thème une question portant sur la sculpture. Peut-on, en effet, et si oui comment, la re-penser ? L’idée de penser la sculpture en tentant de la circonscrire à partir de nouveaux paradigmes n’est certes pas inédite. Dans son livre Passages3, Rosalind Krauss analyse le déplacement qui s’opère au sein de la sculpture moderne en interrogeant la participation du spectateur et l’expérience à laquelle il pourra accéder dans son rapport avec les œuvres. En fait, la sculpture de par « son champ élargi » s’ouvre à de nouvelles façons d’investir les lieux de l’art, mais aussi des espaces naturels, ce qui conduit à la difficulté de maintenir une définition précise de ce qu’est aujourd’hui la sculpture. Cet achoppement semble avoir ravivé l’importance de se questionner, durant les années 1980 et encore dans les années 2000, sur le devenir de la sculpture moderne ou contemporaine, notamment à partir d’ouvrages et de présentations d’expositions d’envergure internationale4.

Le dossier Re-penser la sculpture n’a certes pas l’intention de rivaliser avec ces diverses publications. Plus modestement, il souhaite tout de même offrir quelques pistes de lecture à partir de certains aspects de la sculpture telle qu’elle se pratique de nos jours. Que veut dire aujourd’hui sculpter pour les nouvelles générations d’artistes ? En quoi ceux et celles qui exercent leur talent au nom de ce médium se démarquent-ils dans leur production de tout ce qui s’est généré depuis les années 1970 ? Par ailleurs, reconsidérer le geste sculptural en utilisant un vocabulaire ancien, voire classique, ancré dans l’histoire de l’art, n’est-ce pas se contraindre à un lexique trop limitatif ? Comment, repenser la sculpture autrement qu’à partir d’un langage artistique qui fausse parfois l’activité de l’artiste ?
Que veut-on dire aujourd’hui lorsque des artistes se proclament de la sculpture ?

Pour ce premier volet, Sylvie Coellier vous invite à un bref historique de la sculpture depuis les années 1960-1970, principalement son développement dans ce que Rosalind Krauss a nommé son « champ élargi ». Elle examine, par la suite, quelques propositions d’artistes, dont celles de Tatiana Trouvé, Guillaume Leblon et Thea Djordjaze afin de les interroger dans leur rapport à la position adoptée par Krauss. Le texte de Claire Kueny porte sur la question de l’ombre projetée en sculpture. Appartenant depuis toujours à l’histoire de la sculpture, cette notion d’ombre a trop peu été analysée. Afin de réfléchir à cette mise en forme particulière de « sculptures d’ombres », elle porte son attention sur certaines œuvres du duo Tim Noble & Sue Webster, Mac Adams et mounir fatmi. Enfin, une analyse, inspirée surtout par la pensée de Gilles Deleuze, de certaines œuvres d’artistes de la jeune génération — Francis Arguin, Chloé Desjardins et Dominic Papillon —, se concentre sur ce que nous pourrions appeler une esthétique de la répétition.

 


1. L’exposition L’Odyssée d’Espace s’est déroulée à la maison de la culture du Plateau-Mont-Royal (Montréal) du 16 juin au 2 septembre 2012 (commissaires : Serge Fisette et Nicolas Mavrikakis).
2. Éditorial,
Espace, no 106, hiver 2013-2014, p. 5.
3. Rosalind Krauss.
Passages, une histoire de la sculpture de Rodin à Smithson, Paris, Éd. Macula, 1997.
4. Pensons notamment à
Qu’est-ce que la sculpture moderne ? Catalogue de l’exposition (MNAM, Éd. Georges Pompidou, 1986) ; Qu’est-ce que la sculpture contemporaine ? (Éd. Beaux-arts Magazine, 2008) ; La sculpture aujourd’hui (Éd. Phaidon, 2008) ; Vitamine 3D, Nouvelles perspectives en sculpture et installation (Éd. Phaidon, 2010) et Sculpture Now (Thalmes & Hudson, 2013).