Miniature et démesure
Une époque de la démesure ?
Définir la démesure n’est pas chose aisée–à vrai dire, il devient presque aussi vertigineux de la réfléchir que d’en faire l’expérience. On l’appréhende tantôt en tant qu’infini (littéralement : sans limite aucune), tantôt en tant qu’excès (impliquant le franchissement d’une quelconque limite), tantôt en tant qu’incommensurable. C’est sous cette dernière acception que nous l’envisagerons ici. Autrement dit, comme un immense aux dimensions difficilement saisissables, aux limites ardues à cerner ou à imaginer. Un quasi-infini, pourrions-nous dire : ce qui s’appréhende comme au-delà de toute mesure possible ici et maintenant pour l’être qui en fait l’expérience. Ainsi entendue, la démesure demeure hautement relative et toujours potentielle: elle ne relève pas du fait mais du vécu ; elle qualifie l’expérience (la relation) et non l’objet.
Les incommensurables auxquels elle se rattache semblent en cette époque à la fois se multiplier et s’intensifier, si bien qu’on en vient à se demander, comme le philosophe Étienne Tassin, « si cette démesure […] n’est pas finalement devenue l’unique et impossible “mesure” de notre monde 1 » : des éléments mille fois plus petits que le millième d’un millimètre (le nanométrique) qui ne répondent plus aux lois physiques du monde à « notre » échelle ; des exoplanètes à plusieurs milliards de kilomètres, qu’on peut pourtant voir et « entendre 2 » ; le monde entier (ou presque) traduit en 0 et en 1 (le code binaire inhérent à toute technologie numérique), « hébergé » sur les serveurs d’un
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