Érika Wicky
N° 109 – hiver 2015

Mélanie Boucher, La nourriture en art performatif : son usage de la première moitié du 20e siècle à aujourd’hui

Mélanie Boucher, La nourriture en art performatif : son usage de la première moitié du 20e siècle à aujourd’hui, Trois-Rivières, Éditions Le Sabord, 2014, 285. p. Ill. n/b et couleur.

Dans ce livre abondamment illustré, Mélanie Boucher propose une réflexion aussi rigoureuse qu’originale sur un phénomène encore peu exploré : l’usage de nourriture en art. S’étonnant de l’absence de véritable étude de fond sur ce sujet pourtant mis de l’avant ces dernières années par l’intérêt général pour les arts culinaires et le quotidien ainsi que par l’épanouissement de l’art relationnel, l’auteure relance la discussion sur le rapport entre art et nourriture. De ce rapport, elle évacue rapidement deux modalités, la représentation et la présentation, pour se concentrer sur une troisième catégorie, l’usage de nourriture en performance. En effet, lorsqu’elle est utilisée, la nourriture se charge d’implications sensorielles, ce qui complexifie son rapport à l’art, remettant en cause, notamment, le fonctionnement et la vocation du musée. Elle constitue alors un objet privilégié pour envisager la performance, car au-delà des enjeux de la nourriture en art, ce sont ceux de la performance que cet ouvrage vise à appréhender.

La question est abordée en deux étapes : l’auteure présente tout d’abord un aperçu historique, chronologique, puis effectue un parcours de nature thématique. Elle situe l’origine de l’usage de la nourriture en performance à l’époque des avant-gardes, en particulier des futuristes qui attaquaient le caractère bourgeois de l’attachement à la bonne chère, hérité du Second Empire. La suite de cette histoire consiste, dans ses grandes lignes, en l’exploitation de la métaphore associant le système digestif à l’individualisme et à la société de consommation, en l’inscription de la nourriture dans la démarche de l’art corporel (années 1970), puis de l’art relationnel (1990-2000). Elle donne aussi à l’auteure l’occasion de rappeler l’importance de la dimension anthropologique et politique de notre rapport à la nourriture. Le livre brise ensuite la chronologie au profit de la création de catégories fondées sur le type d’aliment convoqué en performance et sur les considérations anthropologiques et sociales qui lui sont rattachées. La pertinence de chacune de ces catégories est éprouvée par des études de cas qui préservent la singularité des oeuvres au sein de cette réflexion plus générale sur l’art et la nourriture. Ainsi, le livre trace un itinéraire allant du repas policé à la nourriture impropre, en passant par les aliments industriels, exotiques, purs ou encore toxiques, au fil de l’analyse d’oeuvres de Meret Oppenheim, Daniel Spoerri, Paul McCarthy, Massimo Guerrera, etc. Il constitue une contribution significative à la réflexion sur l’art contemporain, mais aussi à la réhabilitation du goût, dans son acception première.

 

Mélanie Boucher La nourriture en art performatif : son usage de la première moitié du 20e siècle à aujourd’hui Trois-Rivières, Éditions Le Sabord, 2014, 285. p. Ill. n/b et couleur.

Mélanie Boucher, La nourriture en art performatif : son usage de la première moitié du 20e siècle à aujourd’hui, Trois-Rivières, Éditions Le Sabord, 2014, 285. p. Ill. n/b et couleur.