Chloé Grondeau
N° 108 – automne 2014

Manif d’art 7. Aux arts, citoyens!

Manif d’art 7, la biennale de Québec
Résistance. Et puis, nous avons construit
de nouvelles formes.
1er — 31 Mai 2014


 

Portée par « sa pertinence face à l’actualité et l’aspect innovateur de son approche 1 », Vicky Chainey Gagnon était la commissaire invitée par l’équipe de la Manif pour la dernière biennale d’arts visuels de Québec. Une édition pensée au plus proche de ses préoccupations. La nouvelle directrice et conservatrice en chef de la galerie The Rooms (Terre-Neuve) a choisi d’y interroger la façon dont l’art peut générer et nourrir un dialogue de résistance autour des enjeux économiques, écologiques et sociaux, poussant la réflexion jusqu’à encourager la nécessité de son changement d’échelle, d’optique et de moyens. En découle Résistance – Et puis nous avons construit de nouvelles formes, une biennale discursive développée à partir d’une approche ancrée dans une réalité sociale où la pluralité des médiums trouve une fonction politique.

Installations, vidéos et photographies côtoient des propositions « documentarisées ». Le réel flirte avec ces images au travers d’oeuvres existantes ou spécifiquement imaginées pour l’occasion.

Le monde dans lequel se situe la manifestation est avant tout un monde en crise où les peuples font face aux troubles de son économie venue accélérer le déclin du paysage social. Conçue comme un laboratoire du regard et de l’analyse du monde par le prisme artistique, cette biennale s’est ainsi donné pour ambition d’examiner son époque au travers d’une posture millénaire : penser le présent et la condition de l’Homme par le biais d’outils actuels et novateurs.

La Manif d’art 7 se veut être à échelle humaine, loin des biennales élaborant une programmation confidentielle où seuls quelques privilégiés peuvent en apprécier pleinement le contenu. Vicky Chainey Gagnon construit une pensée curatoriale communautaire qui se déploie dans la sphère publique et sur une quinzaine de lieux, centres et institutions mis à contribution dans un processus collaboratif. La résistance occupe et valorise ainsi le tissu local, réévaluant l’importance de sa dimension sociale. Une préoccupation que l’on retrouve au-delà même de ce déploiement territorial, incarné notamment par des choix artistiques tels The square d’Olivier Ressler, un triptyque vidéo qui offre aux visiteurs une plongée au coeur de l’activisme mondial où la parole est donnée à des groupements contestataires évoluant à Madrid, New York et Athènes.

Situé à l’intérieur de l’espace 400e, le coeur de la Manif immerge le regardeur dans le noir, le plonge dans une ambiance sombre et feutrée, celle d’une résistance qui s’opère à demi-mot, hors des sentiers battus. Vidéos et installations à la luminosité effrontée partagent les lieux et permettent la pertinence et la fluidité de la circulation d’une oeuvre à l’autre. Documentaires et propos à la dimension plus objectale se font face : fiction et réalité enlacées dans l’écrin de la résistance, loin de la complexe avenue d’amener des individualités à former du commun. L’oeil avide du déambulateur opérant des allers-retours ; parmi ses pérégrinations visuelles, l’installation dramatico-comique du Québécois Martin Bureau, Roasted Globalization, où l’objet « capot de voiture » se transforme en support de projection dédié aux traces vidéographiques d’un populaire concours véhiculé de boucane ; Le collectif français Claire Fontaine, érigé en convocateur d’un langage publicitaire au service d’une expérimentation « spatio-corporelle » avec l’oeuvre Strike. L’éponyme inscription en néon s’illumine ou s’éteint au gré de l’absence ou de la présence du regardeur ; la première, devenue paradoxalement source de lumière et la seconde, synonyme d’obscurité.

Au-delà de l’espace 400e, d’autres propositions viennent également faire oeuvre de résistance manifeste, se jouant des passants à leur insu. Telle la vidéo porteuse de rage populaire This is Not a Riot de Mathieu Beauséjour, restitution d’une performance ayant pris place sur le toit de la coopérative Méduse d’où l’artiste diffusa, au moyen d’un mégaphone, une trame sonore chaotique d’émeutes, cris et sons quasi guerriers retentissant dans Québec, telle une ville assiégée ; ou encore l’installation in situ Untitled Garden d’Abbas Akhavan, située sur les plaines d’Abraham, au sein de laquelle le spectateur est officieusement poussé à venir en perturber l’agencement, des arbres contraignant ce dernier à contourner le chemin originel de sa promenade dominicale.

Toutefois, malgré la qualité indéniable de certaines pièces et la pertinence des dialogues opérés par la mise en contexte d’artistes locaux et internationaux à la lumière d’une thématique venue considérer une crise disséminée à de multiples niveaux, la force de cette édition réside en grande partie dans la posture de la commissaire à l’égard du modèle de la biennale. La docteure en muséologie citoyenne se fait l’écho  d’une « nouvelle » génération de biennales qui opèrent une approche autoréflexive sur le contexte et la culture même de ces dernières, souhaitant dépasser le simple statut d’espace de monstration pure format XXL. Loin du postulat de départ – discutable ? –, qui veut que l’essence même d’une biennale vienne essentiellement s’incarner dans un ensemble rhizomique d’oeuvres, cette édition s’imagine comme un temps de réflexion nourri d’une pluralité d’appréhensions possibles.

Ainsi, l’invitation de Vicky Chainey Gagnon faite à la commissaire à l’éducation, Yaël Filipovic, permet d’élaborer une programmation parallèle, appelant le pouvoir du dire comme remède en ces temps incertains. Au-delà de la voix des oeuvres, ce sont celles de penseurs et du public que l’on peut entendre ré(ai)sonner. Temps de discussions et échanges sont mis en place pour permettre à ceux qui le souhaitent de faire perdurer le débat. Résistance – Et puis nous avons construit de nouvelles formes, pensé comme un « espace autre » tangible loin des utopies de Michel Foucault, s’avère un outil propice à une résistance populaire, une tribune offerte à ceux qui souhaitent répondre par la négative à l’inquiétant devenir politique et socioculturel mondial.

 

Chloé Grondeau fait ses armes au sein du Frac-collection Aquitaine puis des Rencontres Internationales Paris/Berlin/Madrid. En 2010, elle entreprend un Doctorat en Art et rejoint la Fabrique Pola en tant que membre de l’équipe de Zébra3/Buy-Sellf où elle s’occupera, entre autres, des résidences d’artistes internationaux. En 2012, elle co-initie le collectif S\\E//C et développe des projets en tant que commissaire d’expositions indépendantes. Chloé Grondeau occupe depuis peu le poste de coordonnatrice artistique du centre d’artistes Diagonale.

 


  1. Citation de Claude Bélanger lors d’une entrevue réalisée pour l’article.