Valérie Roberge
N° 102 - hiver 2012

L’inquiétant miracle de la sculpture. Se reconnaître de Mathieu Valade

Mathieu Valade,
Inquiétants miracles
Galerie des arts visuels
de l’Université Laval
Hiver 2012


 

L’exposition Inquiétants miracles de Mathieu Valade a été présentée à la Galerie des arts visuels de l’Université Laval, à l’hiver 2012. La sculpture dont il sera question dans ce texte est en apparence simple. En effet, Se reconnaître est composée d’un chien fait en facettes de miroir polygonales qui est assis avec la patte tendue devant un grand miroir carré de six pieds de côté. Elle possède la plupart des caractéristiques des oeuvres de Valade, c’est-à-dire des formes géométriques épurées, accompagnées d’un jeu de lumière, le tout présenté de façon minimaliste. Un autre élément typique de l’artiste est le fait que le spectateur soit impliqué lui aussi dans l’oeuvre, car le miroir face au chien est assez grand pour lui renvoyer sa propre image des pieds à la tête. La nouveauté de cette oeuvre dans le langage plastique de l’artiste est l’apparition de la figuration. C’est sur ce phénomène que notre regard portera en premier pour montrer ensuite ce qui en découle.

Le chien

Face à de la figuration, le premier réflexe naturel est de considérer que cette représentation réfère à l’être humain. Ce qui s’applique très bien dans ce cas-ci. La question suivante, tout aussi évidente, est de savoir : pourquoi prendre un chien ? « Parce que le chien, affirme Mathieu Valade, est l’animal le plus comme l’homme, celui qui tente de faire le plus comme l’homme. » Comment cette sculpture nous montre cela ou montre l’homme à travers elle, c’est ce qui reste à découvrir.

La première problématique de cette figuration est la présentation du chien même. Il est fait de l’agencement de plusieurs morceaux de miroir. Chaque morceau à forme géométrique variable renvoie le reflet de ce qui se trouve près de lui. Le chien reflète alors tout ce qui se trouve autour de lui. Alors, ce reflet de l’homme reflète l’homme ou même les hommes qui se trouvent autour de lui. L’éclatement de la structure même du chien renvoie déjà à la multitude d’images des hommes qui l’entourent, à ce second éclatement. La distorsion de l’image s’amplifie par ces multiples reflets. Ce qui doit alors représenter l’image de l’homme présente la multiplicité de l’image de l’homme. J’irai même un peu plus loin, elle montre que ce qui fait de l’homme un homme est cette multitude d’images qui se greffent à cet homme. L’homme devient composé du reflet de l’image des autres qui l’entourent, du propre reflet de son image.

Le plus beau dans cette sculpture est que le chien tend la patte vers le miroir. La tend-il parce qu’il pense qu’il y a un autre chien face à lui ? Ou la tend-il pour montrer cette docilité ? Pardon pour montrer cette gentillesse, c’est-à-dire ce désir de se placer dans une position favorable, ce désir de plaire à l’autre ? Ou se plaire à soi-même par l’adhésion à ces images de soi que les autres nous proposent ? La question reste en suspend et le chien est là, avec la patte tendue face à un immense miroir. Est-il seul face à ce grand miroir ? Non, avec lui, il y a le visiteur.

Le jeu

Alors, le jeu continue ou commence réellement ! Que regarde le spectateur: lui ou le chien ? Le chien se tend-il la patte ou la tend-il à l’homme dans le miroir avec lui? L’homme devient le chien et le chien devient l’homme dans cet étrange jeu de miroirs, puisque le chien reflète l’homme à son côté et que son reflet en miroir est accompagné de cet homme. Qui devient qui dans cette superposition d’images, de reflets, de renvois à soi ?

Et l’artiste ? Que devient-il ? Car l’artiste est celui qui pose ce regard sur l’ensemble de l’oeuvre. Il est celui qui propose cette réflexion. Il devient en quelque sorte notre miroir. Donc, il est aussi nous et le chien, le chien et nous. La boucle se boucle avec l’artiste, le miroir, nous et le chien ; et il y a toujours cette patte tendue.

Le sourire

L’artiste semble alors proposer un regard amusé sur l’homme et sur lui-même. Une autodérision qui inclut aussi le spectateur, cet autre dans le reflet du miroir. Puisque tous dans ce jeu peuvent percevoir qu’ils ne sont pas ce qu’ils pensent être. Ou du moins pressentir qu’ils sont cette accumulation d’images, qui proviennent d’autres hommes qui sont eux-mêmes composés d’une multiplicité d’images et que tous, selon l’artiste, tendent la patte. Tous au travers de ces détours, ces jeux de miroirs veulent plaire. À qui ? À l’autre ? À eux-mêmes par ce désir d’adhérer à leur image.

Se reconnaître certes, se reconnaître dans l’autre, se reconnaître dans la vanité de notre image (qui n’est jamais celle que l’on pense), se reconnaître dans ce désir de plaire, d’être aimé de l’autre, se reconnaître dans ce jeu de miroirs, se reconnaître dans toute la complexité que cela implique, se reconnaître comme illusion, se reconnaître comme désir d’illusions.

Avec ce jeu de miroirs minimaliste composé d’un chien et du visiteur qui se voient dans le miroir, l’artiste fait ressortir tant la vanité de ce désir que l’universalité de celui-ci. La douce lueur du comique se répand alors sur l’ensemble de l’oeuvre, spectateur et artiste inclus. La chute de cette illusion pourrait être brutale, mais au contraire elle révèle un regard amusé sur les choses et sur soi. Une possibilité de continuer à se tendre la patte en souriant tout en connaissant la naïveté de la chose, sa vanité. Se reconnaître devient alors un inquiétant miracle dans la mesure où, normalement, après cet éclatement de la vanité face à soi-même l’homme devrait disparaître, se sentir exploser, mais au contraire il reste et se montre comme tel dans cet éclatement

 

Valérie Roberge termine présentement la rédaction de son mémoire en philosophie intitulé Méditation sur la liberté inspirée de Kierkegaard et Kundera. À l’automne, elle a commencé son doctorat qui portera sur Le journal du séducteur de Kierkegaard. Les questions existentielles occupant le coeur de son travail, l’art et la littérature font naturellement partie de son questionnement sur la singularité et l’identité. Elle a débuté cette année une série de commentaires sur les oeuvres de Mathieu Valade.