Bénédicte Ramade
FTA

FTA 2019 | Serge Aimé Coulibaly : Kalakuta Republik

Kalakuta Republik
Serge Aimé Coulibaly
Faso Danse Théâtre + Halles de Schaerbeek
Bobo-Dioulasso + Bruxelles
Festival TransAmériques
Monument-National, Salle Ludger-Duvernay
Montréal
23 au 25 mai 2019

Une république un peu opaque

Kalakuta Republik, engouement du Festival d’Avignon 2017, a été conçu par Serge Aimé Coulibaly, produit par son Faso Danse Théâtre et les Halles de Schaerbeek, en Belgique, présenté en 2016 pour la première fois à la Triennale de la danse de Ouagadougou au Burkina Faso. Originellement dansée par six danseurs et le chorégraphe lui-même, la version présentée au Monument-National a perdu un membre et une grande partie de ses effets vidéo. Sur deux grands écrans, faits de pièces de tissus blancs cousus ensemble défilent d’ailleurs, à un certain moment, des images de drones militaires dont on ignore la provenance, montrant des villes défoncées, des bombardements, l’exécution par un missile de quatre humains marchant dans une rue. Ces images muettes et troublantes sont projetées lors de la première partie du spectacle, la plus politique, consacrée au leader de cette république utopique de Kalakuta, le musicien Fela Kuti.

De cette communauté qui a réellement existé en banlieue de Lagos, à Mushin, et qui rassemblait la famille, les collaborateurs de Kuti dans un complexe mêlant habitations, studio d’enregistrement et clinique gratuite, il reste sur scène un canapé et une caisse de transport. Un dépouillement qui donne décidément bien peu de clefs aux spectateurs venus ici sans se documenter préalablement. Et même en ayant fait ses devoirs, rien ne se veut explicite dans la proposition de Coulibaly de traverser la vie, l’engagement militant, les aspirations présidentielles du musicien nigérian qui aura marqué l’histoire de l’afrobeat. On est loin de la biographie et du manuel d’histoire. Au contraire, les références au parcours politique, emportées par la musique progressive de Kuti, sont aussi hybrides que les mouvements de danse. Les origines africaines et urbaines se mélangent au registre contemporain sans qu’on puisse clairement s’y retrouver. Hybride plus que métissée donc, la chorégraphie répète les phrases et les gestes, exige des corps une élasticité violente, conduit les interprètes dans un registre de tension contagieux. On en prend conscience lorsque le morceau de Kuti s’achève, sans que s’interrompe la danse, curieusement disjointe de la partition. Reste le bruit des corps, les souffles, les claques auto-infligées, un dénuement violent qui constitue un paradoxal soulagement. De cette première partie d’une cinquantaine de minutes, sombre, autoritaire, parfois frontale, on ressort un peu abasourdi et interdit par le parti pris de Coulibaly.

Kalakuta tire son nom de la prison Calcutta où Kuti a été, pour la première fois, incarcéré pour s’être opposé au pouvoir nigérian. Une racine qui infuse toute la proposition et explique les entraves jouées par les danseurs, les corps maltraités, le contrôle et le sentiment d’oppression. La seconde partie propulse le cadre dans le club de Kuti, le Shrine, mythique à Lagos, où se joue une fin de partie un peu plus lisible, alcoolisée, sexuelle, chaotique. Une bacchanale dont le maître ressort cathartique, propulsant un rire démoniaque au micro, le visage à moitié peint, rappelant un masque mbangu (Pende du Congo) traditionnellement porté pour incarner l’ensorcellement. Et de fait, la troupe est comme possédée : les danseuses se livrent à une parade quasi pulsionnelle tandis qu’un des danseurs déambule en grimaçant et en crachant sa bière sur une chanteuse à la voix rauque. Les corps se heurtent, la séduction fait place au harcèlement, les corps chutent, meurent, se relèvent. On pense alors à la pièce Zombie, écrite par Kuti, en 1976, pour critiquer le gouvernement nigérian en place et qui vaudra des ennuis à son créateur. Mais ce n’est pas elle qui est jouée dans ce deuxième chapitre. L’utopie est rattrapée par les excès et une partition gestuelle un peu plus conventionnelle aussi (notamment dans les danses lascives féminines empruntant à plusieurs modèles du continent africain). Kalakuta s’achève dans une parade dont on ignore s’il s’agit d’un triomphe ou d’un baroud d’honneur.


Concept et chorégraphie : Serge Aimé Coulibaly
Création et interprétation : Marion Alzieu + Serge Aimé Coulibaly + Ida Faho + Antonia Naouele + Adonis Nebié + Sayouba Sigué + Ahmed Soura
Musique : Yvan Talbot
Vidéo : Ève Martin
Dramaturgie : Sara Vanderieck
Scénographie et costumes : Catherine Cosme
Lumières : Hermann Coulibaly
Coproduction : Maison de la Danse (Lyon) + Torinodanza (Turin) + Le Manège – Scène nationale de Maubeuge + Le Tarmac – La scène internationale francophone (Paris) + Les Théâtres de la ville de Luxembourg + Ankata (Bobo-Dioulasso) + Les R.cr..trales (Ouagadougou) + Festival Africologne (Cologne) + De Grote Post (Ostende). Avec le soutien de Musée des Confluences (Lyon) + Fédération Wallonie-Bruxelles, service de la danse. Présentation : Havas en collaboration avec Monument-National avec le soutien de Wallonie-Bruxelles International

Kalakuta Republic, Serge Aimé Coulibaly. Photo © Sophie Garcia.
Kalakuta Republic, Serge Aimé Coulibaly. Photo © Doune-Photo.
Kalakuta Republic, Serge Aimé Coulibaly. Photo © Doune-Photo.
Kalakuta Republic, Serge Aimé Coulibaly. Photo © Sophie Garcia.
Kalakuta Republic, Serge Aimé Coulibaly. Photo © Doune-Photo.
Kalakuta Republic, Serge Aimé Coulibaly. Photo © Sophie Garcia.
Kalakuta Republic, Serge Aimé Coulibaly. Photo © Sophie Garcia.