Louis-Philippe Savard

and Counting de Wafaa Bilal : le corps-mémorial


Depuis le tournant du 21e siècle, la mort est plus que jamais mêlée aux évidences de nos vies puisque tissée au paysage médiatique télévisuel et numérique. Les technologies actuelles — réseaux sociaux et autres — rendent l’existence de certains conflits (au Moyen-Orient ou en Asie de l’Ouest, par exemple) perpétuellement accessible, littéralement au bout de nos doigts. Paradoxalement, en Amérique et en Europe, cette mort semble toujours survenir ailleurs et paraît antinomique de notre réalité contemporaine. Or, elle est une des conditions vitales au maintien de l’Occident tel qu’on le conçoit.

Dans les locaux de la Elizabeth Foundation for the Arts, à Manhattan, en mars 2010, une étrange performance de l’artiste d’origine iraquienne Wafaa Bilal (qui vit et travaille maintenant aux États-Unis) a lieu. Durant 24 heures, il reste assis sur une chaise, le dos dénudé, pendant qu’un tatoueur y réalise une fresque composée de 100 000 minuscules points à l’encre verte transparente et 5000 à l’encre rouge. Celle-ci est apposée par-dessus une carte minimaliste de l’Iraq qui en comporte les villes principales, leur nom inscrit en arabe. Représentant les Iraquien·ne·s décédé·e·s de la guerre — chiffre assurément plus élevé, mais qui se basait sur des évaluations modestes, selon l’artiste — les points à l’encre transparente n’apparaissent que sous une lumière ultraviolette. L’encre rouge, visible en tout temps, évoque les pertes américaines. Transformant son corps en mémorial, l’artiste dédie son geste à son frère, Haji, mort dans une frappe de missiles américaine en 2004, ainsi qu’à toutes


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Wafaa Bilal, and Couting…, 2010. Avec l’aimable permission de l’artiste. Photo : Brad Farwell.