N° 110 – printemps-été 2015

David Altmejd : Flux

Musée d’art moderne de la Ville de Paris
10 octobre 2014
1er février 2015


 

Le Musée d’art contemporain de Montréal accueille, du 6 juin au 7 septembre 2015, l’exposition rétrospective de l’oeuvre de David Altmejd présentée récemment au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris (MAMVP). La présence de ses oeuvres dans les collections publiques canadiennes, mais aussi américaines, témoigne de la notoriété qu’il a peu à peu acquise depuis son entrée à la Andrea Rosen Gallery en 2004. Toutefois, même si le sculpteur bénéficie d’une reconnaissance élargie à Montréal et à New York, il n’en était pas de même à Paris. Bien que révélation de la Biennale de Venise, en 2007, pour laquelle il représentait le Canada 1, son oeuvre n’y avait toujours pas été présentée dans le cadre d’une exposition personnelle. Le Musée d’Art moderne de la Ville de Paris a pris les devants au profit de la programmation de l’ARC, son espace de recherches et d’expositions dédié à la création artistique contemporaine.

L’exposition conçue par François Michaud, conservateur général du musée du MAMVP, et Robert Vifian, grand amateur et collectionneur de sculpture contemporaine, a pour principal objectif de faire découvrir le travail de David Altmejd et d’affirmer sa spécificité dans l’histoire de la sculpture contemporaine. Pour cela, les commissaires présentent, à travers une cinquantaine d’oeuvres, l’ensemble des thèmes et des techniques que l’artiste privilégie depuis le début d’une carrière d’une vingtaine d’années: la figure du géant et du loup-garou, les notions de transformation et d’hybridité, la rigidité architecturale et la légèreté des fibres textiles, les matières organiques et les matériaux synthétiques. Tous ces éléments réunis témoignent d’une oeuvre polymorphe qui renouvelle et réinvente matériellement le médium de la sculpture.

Ce sont néanmoins ses derniers travaux qui prennent le haut du pavé de l’exposition. Sur la cinquantaine d’oeuvres exposées, trente ont été réalisées au cours des quatre dernières années. Le terme de rétrospective, utilisé par le musée parisien, perdait ainsi de sa substance que l’âge d’Altmejd rendait déjà incongru. Il n’empêche que le choix des oeuvres met en perspective toute la singularité de son travail et a le mérite de témoigner de la globalité de son univers qui, force est de constater, s’avère toujours plus foisonnants et complexes.

À Paris, c’est une grande sculpture ailée installée au haut de l’escalier par lequel on accède aux salles de l’ARC, qui accueillait le visiteur. Devant la blancheur du plâtre de ce corps haut perché, le public parisien pensait inévitablement à la Victoire de Samothrace qui domine l’escalier Mollien du Louvre, tandis que l’amateur de l’oeuvre d’Altmejd y voyait certainement davantage une résurgence de son travail sur les anges gardiens réalisé dans le cadre d’une résidence à la Caza d’Oro en 2009. Le parcours de l’exposition commençait avec Sarah, l’autoportrait qu’il réalisa en 2003 « à travers sa soeur » et qui, déjà, annonçait toute l’attirance d’Altmejd pour les amalgames de cristaux et de matières synthétiques.

Le visiteur avançait ensuite dans une longue allée semi-circulaire dans laquelle les géants, qui ont fait la réputation de l’artiste, étaient alignés les uns à côté des autres. Face à ces colosses, des miroirs, parfois éclatés, avaient été installés sur tout le mur, créant ainsi un effet panoramique et une multiplication des figures dans l’espace. Les géants étaient suivis de l’homme oiseau, si gracieux avec sa tête d’aigle, et des personnages de résine et de plâtre dont la blancheur crue des matériaux était accentuée par la lumière naturelle que laisse passer la haute verrière, ajoutant ainsi un aspect très théâtral à la scénographie de l’exposition. À ce niveau du parcours, le visiteur découvrait l’oeuvre in situ réalisée par l’artiste, qui consistait en une trace profonde de ses doigts sur la paroi du mur aussi blanc que ses sculptures. Cette trace semblait être l’écho visible des propos de l’artiste sur l’importance qu’il donne à garder visible le geste constitutif de ses sculptures.

Le visiteur poursuivait sa marche et entrait dans des espaces cubiques dans lesquels il découvrait les boîtes de Plexiglas qui marquent le travail d’Altmejd des quatre dernières années. Ses oeuvres, d’une extraordinaire minutie, méritent le détour. Elles ont le pouvoir d’absorption des vitrines des anciennes galeries d’histoire naturelle, où le détail prend le pas sur le général. Elles s’apparentent à des mondes d’enchantement oniriques bouillonnants de mouvements immobilisés tel The Swarm. Cette oeuvre, réalisée en 2011, révèle un vrai travail de fourmis – il ne va pas sans dire – fait d’agencements de fils et de chaînes dorées au milieu desquels se figent le vol d’abeilles et celui de papillons dont les ailes sont des oreilles.

The Flux and the Puddle, la plus récente des oeuvres présentées, rassemble le lexique complet d’Altmejd. À la fois grotesque et dérangeante, cauchemardesque et surprenante, l’imposante installation est le point d’orgue d’une exposition qui pointe avec justesse la singularité d’une sculpture qui brouille la distinction entre intérieur et extérieur. Monumentale (318 x 640 x 714 cm), elle est la manifestation d’un mouvement qui se serait arrêté pour devenir l’objet de l’attention du curieux. Elle est l’expression de la volonté artistique profonde de l’artiste qui était, par ailleurs, formulée en début de parcours, juste après son autoportrait à travers sa soeur, Sarah : « Si je permets à la sculpture de garder en mémoire toutes les traces du processus de création, alors elle sera chargée de l’énergie qui provient de sa construction. C’est pour ça qu’il est important pour moi d’être présent à l’intérieur, parce que cela me donne l’impression de faire en sorte qu’elle conserve toutes ces traces. » (D.A., été 2014) Par ailleurs, la réflexion tout entière de David Altmejd était plus largement partagée grâce aux documentaires projetés dans une petite salle qui avait pour défaut d’être éloignée du parcours. On y voyait, entre autres, le film documentaire de Fabien Consant sur l’exposition au MAMVP et le travail de David Altmejd. S’y mêlent les images des salles d’expositions, des interviews/explications de l’artiste à l’occasion d’une visite guidée, des images de David Altmejd en plein travail. Dans l’ensemble, les documentaires mettent en évidence sa manière de travailler et le cheminement de sa pensée.

Avant son arrivée au Musée d’Art contemporain de Montréal, le 18 juin 2015, l’exposition était présentée au MUDAM, au Luxembourg, du 7 mars au 31 mai. Revue par Marie-Noëlle Farcy, la version luxembourgeoise donnait une part belle aux sculptures composées de miroirs. La présentation de ces dernières et de celles des géants sous la grande verrière, qui caractérise l’architecture du musée, soutenait une perception tout à fait différente de celle de Paris, plus intimiste, plus cérébrale. La version montréalaise, revue par Josée Bélisle, offrira certainement un regard supplémentaire porteur de nouvelles interprétations et visions.

Ariane Lemieux a soutenu sa thèse de doctorat à l’Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne, en décembre 2011, sous la direction de Dominique Poulot. Intitulée L’artiste et l’art contemporain au musée du Louvre des origines à nos jours. Une histoire d’expositions, de décors et de programmations culturelles, sa thèse met en évidence à la fois un phénomène muséal actuel et la transformation généralisée de l’institution depuis sa création en 1793. Elle poursuit un travail de réflexion sur les rapports entre le musée d’art ancien et la création contemporaine. Depuis 2015, elle est chargée d’enseignement à l’Université Panthéon-Sorbonne.


  1. David Altmejd « The Index », 52e Biennale d’art contemporain de Venise, du 10 juin au 21 novembre 2007. Commissariat : Louise Déry.