André-Louis Paré
N° 114 – automne 2016

Jean-Pierre Cometti, Conserver/Restaurer. L’œuvre d’art à l’époque de sa préservation technique

Jean-Pierre Cometti, Conserver/Restaurer. L’œuvre d’art à l’époque de sa préservation technique, Paris, Gallimard, coll. NRF Essais, 2015, 320 p. Fra.

Spécialiste de Robert Musil et de Ludwig Wittgenstein, auteur de nombreux ouvrages consacrés à l’art contemporain, dont Art et facteurs d’art (Presses universitaires de Rennes, 2012) et La nouvelle Aura (Économies de l’art et de la culture, 2015), Jean-Pierre Cometti (1944-2016) est décédé peu avant la parution de cet ouvrage qui sera donc parmi ses derniers. Un autre livre consacré, cette fois à la pensée de John Dewey, est paru chez le même éditeur en février 2016. Ayant pour thème la conservation et la restauration des œuvres, cet essai a pour origine une expérience de trois années au sein de l’École supérieure d’art d’Avignon. Son titre réfère à un célèbre texte de Walter Benjamin, publié en 1935, lequel réfléchissait sur l’apport de la photographie et du cinéma comme nouvelles techniques de reproduction. Mais de nos jours, la restauration et la conservation n’ont plus le même contexte ; la « valeur d’exposition » se développe sur de nouveaux territoires qui « mobilisent l’attention et les compétences du conservateur-restaurateur bien au-delà de sa vocation traditionnelle ».

Dans le domaine culturel, la restauration et la conservation renvoient principalement à des œuvres d’art. Pour un musée, restaurer un portrait de Rembrandt en vue de le préserver pour les générations futures va de soi. Il en serait de même pour la plupart des œuvres déjà présentes dans nos musées. Toutefois, à partir des avant-gardes du siècle dernier, la notion d’œuvre va subir un déplacement, de sorte que l’intérêt mis sur l’objet se tournera peu à peu vers le processus. Conséquemment, l’attention portée aux propriétés va muter vers une attention consacrée « au fonctionnement et aux conditions de fonctionnement. » Pour distinguer ces deux attitudes, Cometti réfère aux régimes autographique et allographique comme stipulé par Nelson Goodman. Dans cette dernière catégorie, ce sont les effets escomptés qui doivent être désormais pris en compte par le restaurateur d’une œuvre. En s’éloignant ainsi du « paradigme de l’objet », les difficultés vont également concerner « le rôle primordial qu’y jouent les dispositifs techniques » au sein des œuvres. Les cas de figure à ce propos sont multiples. Cependant, une chose est sûre, grâce à ces nouvelles avenues, le métier de restaurateur, qui présuppose des règles et une conception esthétique et philosophique des œuvres, est bouleversé. é. Pour des œuvres technologiquement complexes, des équipes de spécialistes doivent être envisagées. Les experts sont de plus en plus souvent invités à offrir leur soutien à la restauration d’une œuvre qui exige des savoirs spécialisés. Mais il y a aussi autre chose : à l’ère de l’Internet et du numérique, notre rapport aux patrimoines est forcément bousculé.

Pour Cometti, cette époque de la préservation technique invite à promouvoir une « philosophie de la restauration ». Philosophie qui débute par la prise en compte d’une réflexion sur les concepts d’œuvre, d’identité, d’authenticité, d’intention, etc. ; d’autant que les moyens de diffusion, grâce « aux ressources offertes aujourd’hui par la numérisation », changent considérablement la donne. Il s’agit, en effet, d’une situation nouvelle qui implique forcément la question du patrimoine. Et qui dit patrimoine, dit également mémoire. Pour quoi, pour qui conserver les œuvres produites aujourd’hui ? Si restaurer et conserver les œuvres font appel à des questions se rapportant au temps, à la culture et à la mémoire, qui doit et peut en avoir la responsabilité ? Pour l’auteur, ces questions doivent être posées sous l’angle d’une ontologie des œuvres d’art associée à un contexte juridique, politique et historique. Aussi, à l’ère de l’Internet, des impératifs économiques, de marché, et de la capitalisation d’une certaine culture, il y a péril en la demeure, celle qui a pour socle la transmission d’une mémoire collective. C’est pourquoi il importe que les restaurateurs et les conservateurs soient aussi des « curateurs », c’est-à-dire des personnes qui ont pour mission de prendre soin, qui ont pour souci de s’interroger sur les choix et les valeurs qui alimentent leur philosophie de la restauration.

 

Jean-Pierre Cometti, Conserver/Restaurer. L’œuvre d’art à l’époque de sa préservation technique, Paris, Gallimard, coll. NRF Essais, 2015, 320 p. Fra.

Jean-Pierre Cometti, Conserver/Restaurer. L’œuvre d’art à l’époque de sa préservation technique, Paris, Gallimard, coll. NRF Essais, 2015, 320 p. Fra.