Sylvain Campeau

Camille Norment, Plexus

DIA Chelsea
New York
3 mars 2022 – 7 janvier 2023

La fondation DIA a invité Camille Norment, États-Unienne vivant à Oslo, à une collaboration qui s’est étendue sur quatre années. Cette artiste s’intéresse au son dans sa dynamique réflexive avec des espaces connotés par leur usage antérieur. Ce sont les espaces de la 22e rue de l’antenne new-yorkaise de l’institution, récemment rénovés, qui se sont prêtés à cet exercice. Ils ont ainsi été abordés dans l’optique de leur localisation sur un ancien front de mer maintenant comblé. La proximité de la galerie avec le High Line, voie surélevée devenue parc linéaire sur le site d’un chemin de fer assurant le transport des personnes et des marchandises, a alimenté la réflexion. Le lieu a été le site d’une activité de transit à caractère commercial. Il en a résulté cette exposition en deux parties, occupant les galeries adjacentes des 541 et 545 ouest, 22e rue de New York, répondant l’une à l’autre. La question du transport maritime est devenue centrale dans cette installation qui réunit des éléments évoquant la cloche de navire et les charpentes de bateau. Cela pouvait recouper adéquatement les préoccupations centrales de l’artiste, au plan sonore, pour le son des cloches, l’effet de rétroaction sonore et les ondes sinusoïdales.

Cela est certes perceptible dans la première salle. On y voit deux éléments en laiton se répondant l’un à l’autre. Du sol monte une structure rappelant effectivement une cloche tandis que, du plafond, pend une autre pièce évoquant tout autant une goutte d’eau qu’un micro. L’ensemble suggère une sorte d’action en vase clos, surenchérissant sur les effets sonores comme le fait réellement un effet de réverbération. La seconde pièce semble être là pour enregistrer ce qui émane de la première dont elle est aussi la source. Dans la salle, il y a aussi quatre microphones pointant vers la sculpture centrale. C’est que cette corolle de laiton est le creuset recevant tout ce qui peut résonner d’ondes sinusoïdales dans l’espace traversé par des visiteurs. Cette production spontanée est complétée par la reprise de parasites en provenance d’émissions de radio des années 1970, de reportages communautaires concernant des luttes sociales et environnementales. Cet ajout n’est finalement que bruissement léger ; et penche-t-on la tête dans le large orifice du vase ouvert que l’on y perçoit assez peu de choses, tout juste un bruit assez ténu. Finalement, les résonances spontanées qui rayonnent, du fait des déplacements des visiteurs dans l’espace de la galerie, rencontrent ici, depuis le fond d’une sorte de caisse d’échos, des prélèvements par l’artiste d’archives radiophoniques. L’élément du bas de cette œuvre, aux allures de cloche, lance donc un appel qu’on imagine être capté par l’autre composante qui rappelle un micro. Retenons tout de même une chose que l’on déduit de ce travail : le son vibre depuis les choses mêmes, depuis les lieux mêmes. Il n’est ni ajout ni supplément. Il est inhérent à tout corps qui frémit, ondoie, produit une ondulation.

La seconde œuvre est logée dans la galerie attenante, et nous en sommes séparés par une forme fermée, rendue nécessaire par la composante sonore des travaux exhibés. On retrouve là une utilisation semblable du son au sein d’une structure singulièrement différente, mais qui se nourrit aux mêmes références connotées. Cette seconde salle est parsemée de lourdes et longues structures de bois de source écoresponsable puisque construites à partir du bois d’arbres tombés. Elles se présentent comme des travées inclinées, montant depuis le sol, formant la carène d’un bateau. Comme elles s’ajoutent à un toit incurvé, lui-même en bois, alors que d’autres poutres traversent l’espace, solidement et très apparemment rivetées, se modulant comme des épontilles, cette illusion navigatrice est, à la fois, complète et subtile. Dans cette atmosphère, flotte en plus une chorale microtonale de douze chanteurs, hommes comme femmes, entonnant des mélopées qui vont du bourdonnement à de plus nettes poussées vocales, évoquant le cri. L’effet de ce chœur, combiné aux teintes, à la texture et même à l’odeur du bois, crée une étrange forêt bruissant. 

Les travées de bois ne sont cependant pas toutes en élévation. Des pièces jonchent aussi le sol, et c’est à se demander si l’on n’arpente pas une échouerie, un site parsemé des restes d’un naufrage. Évidemment, quand on erre entre toutes ces constructions, les voix nous suivent, nous hantent, surgissent d’on ne sait où, toujours présentes, à proximité. Il y a quelque chose de poignant et de chaleureux à la fois dans cet environnement. On en vient à s’asseoir ou à s’étendre sur ce qui s’offre en bancs et pièces de gaillard. Dès lors, les voix semblent provenir de la matière même du bois parfois. Plus surprenants encore sont ces craquements, de brefs battements en petites séries qui ébranlent le corps des planches. Ils évoquent la forêt, la cognée des bûcherons, les coups de bec des pics-bois, on ne sait trop. Le souvenir de ces gens et de ce temps frappe ainsi à la porte de cette installation sculpturale qui ne sait rester inerte, que le son anime de sa vie ou de toutes ces vies antérieures évoquées. On s’y attarde et l’on médite dans cette chapelle d’un nouveau genre.

Les deux pièces offrent un contraste marqué : l’éclat froid et laqué du laiton de l’une s’opposant à la chaleur du bois brun chocolat de l’autre. Pour la première, nos présences inhibent et créent des effets sonores captés et réverbérés à la fois par la pièce centrale. La bande chantée et murmurée de la seconde émane de la structure sylvestre et fait frissonner les corps de ceux qui sont maintenant devenus des célébrants.


Sylvain Campeau collabore à de nombreuses revues canadiennes et européennes. Auteur de sept recueils de poésie et de plusieurs essais sur les arts visuels, il publie, en 2022, Écrans motiles aux Presses de l’Université de Montréal. En tant que commissaire, il a également à son actif une quarantaine d’expositions. 


Camille Norment, Plexus, 2022. Avec l’aimable permission de DIA Chelsea. Photo : Don Stahl.
Photo: Don Stahl
Camille Norment, Plexus, 2022. Avec l’aimable permission de DIA Chelsea. Photo : Don Stahl.
Photo: Don Stahl
Camille Norment, Plexus, 2022. Avec l’aimable permission de DIA Chelsea. Photo : Don Stahl.
Photo: Don Stahl
Camille Norment, Plexus, 2022. Avec l’aimable permission de DIA Chelsea. Photo : Don Stahl.
Photo: Don Stahl
Camille Norment, Plexus, 2022. Avec l’aimable permission de DIA Chelsea. Photo : Don Stahl.
Photo: Don Stahl
Camille Norment, Plexus, 2022. Avec l’aimable permission de DIA Chelsea. Photo : Don Stahl.
Photo: Don Stahl