Nathalie côté
N° 102 - hiver 2012

Le Biennale de sculpture de Saint-Jean-Port-Joli. Le poid du monde et des choses

Biennale de sculpture de Saint-Jean-Port-Joli
19—29 juillet 2012


 

Avec pour thème hospitalité, la commissaire Caroline Loncol-Daigneault a donné à cette deuxième mouture de la Biennale de sculpture de Saint- Jean-Port-Joli une envergure à la hauteur de la réputation des lieux. Pendant dix jours, Massimo Guerrera, Giorgia Volpe, Michael Fernandes, Georges Audet, Émilie Bernard, Jean-Robert Drouillard et Michel Saulnier ont multiplié les rencontres avec le public, interrogeant la sculpture et notre humanité.

L’aura des frères Bourgault habite toujours Saint-Jean-Port-Joli. Cette tradition populaire, remontant aux années 1930, a été perpétuée pendant cinquante ans par l’École-atelier de sculpture sur bois. S’y ajoute la présence de l’art contemporain assurée, depuis 1992, par le Centre Est-Nord-Est et ses résidences de création. Son ancêtre : les studios d’été fondés par Michel Saulnier, Pierre Bourgault et Roberto Pellegrinuzzi, en 1987, qui voulaient « permettre à des artistes citadins de se ressourcer dans un village où la ruralité côtoie une tradition vivante de la sculpture sur bois 1 ». Vingt-cinq ans plus tard, on pourrait en dire autant de la biennale de sculpture ! Une nuance cependant : cette nouvelle biennale n’est pas autogérée par des artistes, mais par la Corporation des fêtes et événements culturels de Saint-Jean-Port-Joli qui donne, fort heureusement, une place de choix à l’art actuel.

Ces différents rôles joués par Saint-Jean-Port-Joli dans l’histoire de l’art du Québec, le sociologue Guy Sioui-Durand en a témoigné lors de sa conférence donnant le coup d’envoi de la biennale. La présence de François Turcot, poète en résidence, ainsi que la présentation de plusieurs concerts ont animé la biennale. Il faut aussi souligner le passage de Gabriel Nadeau-Dubois, en tournée estivale au Québec – cette invitation établissant un lien, d’autant plus précieux que rare, entre les mouvements sociaux et l’art contemporain. Massimo Guerrera intégrera d’ailleurs un carré rouge à l’un de ses dessins, conservant une trace du passage du leader étudiant – comme il a aussi incorporé à son installation des phrases glanées dans une discussion ou un objet offert par un résident du village.

Art actuel et tradition

Ainsi que le soulignait Jean-Robert Drouillard : « À Saint-Jean-Port-Joli, la tradition et l’art contemporain se confrontent. Mon travail est un peu à mi-chemin entre les deux. » En fait foi sa sculpture taillée à même le bois. Une figure grandeur nature représentant son fils coiffé des bois d’un cerf. Cette pièce traditionnelle aux accents surréalistes constituait l’introduction parfaite à l’univers de l’art actuel.

Plus déroutante sera l’oeuvre conceptuelle de Michael Fernandes. L’artiste d’Halifax a habité pendant dix jours dans une cabane construite par Berthier Guay, un entrepreneur du village. Le petit bâtiment dessiné par l’artiste comportait un lit, un comptoir avec, au centre, un trou creusé dans la terre. Une fosse assez grande pour y mettre un cercueil. Y habiter l’obligera à une présence accrue dans ses gestes quotidiens, ayant à chevaucher la tranchée plusieurs fois par jour 2. À ceux qui lui diront que « cela n’est pas de l’art », il répondra, philosophe : « Il s’agit plutôt d’une expérience ! » Devant ce cabanon au statut incertain, plusieurs visiteurs chercheront la « sculpture ». C’est pour leur répondre que Berthier Guay offrira une sculpture à l’artiste, l’installant non loin de sa cabane – s’invitant ainsi à la biennale avec un long porte-voix fait d’un seul arbre déroulé, assouvissant pour un temps les attentes des visiteurs. Mais gageons que l’étrange maison de Michael Fernandes restera longtemps dans leur mémoire…

Cueillette et récupération

Par nécessité ou par choix esthétique, beaucoup d’artistes utilisent des matériaux récupérés. Giorgia Volpe a cueilli des balais de sorcières, ces excroissances se développant sur les conifères, « symboles de l’hospitalité végétale ». Elle les a rassemblés en un bouquet géant suspendu entre deux arbres. Lors de l’événement de clôture de la biennale, elle a fait descendre sa sculpture suspendue. Un ami du village guidait la pièce de plus de cent kilos qu’elle supportera jusqu’à se retrouver au sol, couverte par la sculpture, offrant ainsi une performance très touchante. La sculpture sera ensuite brûlée sur les berges du Saint-Laurent.

Le jour même, Georges Audet mettra son oeuvre à l’eau. Ces deux performances s’apparentaient à des rituels, faisant de la dernière journée de la biennale un moment solennel. Ce « collectionneur de collections », tel qu’il se nomme lui-même, a construit un radeau fait d’objets de bois peints en rouge. Des morceaux de chaises et autres bols offerts par des résidents ou apportés de son atelier montréalais. Il a confectionné  sa sculpture comme on tisse un tapis. À l’instar de la pièce de Michel Saulnier, un dauphin fait d’un assemblage de boîtes de carton récupérées, son oeuvre s’inspire des procédés de l’artisan et de la culture populaire.

Dons et échanges

« Je suis arrivée ici avec rien, je repars les mains vides », disait Émilie Bernard. L’artiste a confectionné de petites formes abstraites en plâtre. Ses dizaines de sculptures intimistes, elle les a offertes aux visiteurs. Le partage est également au centre de l’oeuvre de Massimo Guerrera. À Saint-Jean-Port-Joli, il a discuté, médité et dessiné avec les visiteurs dans un bâtiment à la fois atelier et galerie d’art, y exposant ses créations et réalisant l’une des ses installations les plus propices à la contemplation.

En marge de l’événement, le plus célèbre des artistes de Saint-Jean-Port-Joli, Pierre Bourgault, a installé une tour de blocs de sel le long du fleuve. La sculpture monumentale fondant au fil des jours témoigne autant de son détachement pour l‘objet d’art et la tradition que de son attachement au fleuve. Ce souci de la nature traverse d’ailleurs chacune des oeuvres de la biennale. Des oeuvres où les artistes déclinent différentes manières de faire de la sculpture et de travailler le bois : taille directe, assemblage, récupération ou construction de bois industriel. Mais surtout, ce n’est pas tant l’objet qui est au coeur de leurs démarches que l’humain lui-même et son expérience.

 

En 1998, Nathalie Côté obtenait une maîtrise en histoire de l’art de l’Université de Montréal. Elle a été successivement critique d’art à Voir Québec et au journal Le Soleil, de 1998 à 2008. Membre du comité de rédaction de la revue Inter art actuel, elle est actuellement coordonnatrice du journal communautaire Droit de parole, le journal des luttes populaires des quartiers centraux de Québec.

 


  1. Répertoire des centres d’artistes autogérés du Québec et du Canada – Édition spéciale, 2002, p. 96.
  2. La dimension de la fosse creusée dans la sculpture-maison de Michael Fernandes est de 1,22 x 1,22 x 3 m.