À la faveur de la nuit, révéler la gentrification à Montréal et New York
La lumière révèle et aveugle, une propriété paradoxale qui en fait non pas l’opposée des ténèbres, mais plutôt un phénomène complémentaire. Il n’y a pas d’ombre sans lueur ni de véritable éclat sans obscurité, si bien que traiter d’éclairage implique d’être à la fois sensible à la noirceur et à l’opacité. Il faut développer une attention pour tout ce qui se dérobe au regard et adopter une saine méfiance envers ce que le faisceau des projecteurs magnifie. Avec cette acuité, lorsque nous appréhendons l’espace urbain après le crépuscule, les illuminations qui le jalonnent n’apparaissent plus comme de simples interventions visant à le sécuriser ou à l’enjoliver. Elles deviennent des indicatrices de ce qui est légitime de montrer, ainsi que d’effacer de l’image de la ville la nuit. Elles incarnent une lutte pour l’accès à la visibilité. Dans le contexte de quartiers en voie de gentrification, il semble d’ailleurs que la lumière artificielle puisse tout autant camoufler et soutenir la dépossession en cours que participer à dénoncer sa violence.
La gentrification est certes une notion qui soulève de nombreux débats, tant ses causes et ses modes opératoires ne font pas consensus. Nommée pour la première fois dans les années 1960 par la sociologue Ruth Glass1, elle désigne un phénomène de conversion et de réhabilitation d’édifices patrimoniaux qui s’accompagne d’un changement démographique notoire dans la zone revalorisée. Elle est toutefois régulièrement évoquée lorsque le développement immobilier accéléré d’un secteur urbain précis – qu’il concerne d’anciens ou de nouveaux bâtiments – a pour
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